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Liban : le pari de la citoyenneté

Mis en coupe par quelques familles dominantes depuis son indépendance en 1943, le Liban est aussi la seule nation du monde où se joue un enjeu exceptionnel : en finir avec ce système de clans ethniques et confessionnels pour construire une citoyenneté commune. Les Libanais peuvent-ils tenir ce pari, là où toutes les tentatives précédentes ont jusqu’à présent échoué dans le monde arabe ?

Secoué régulièrement par des guerres communautaires meurtrières, ce territoire de 10 000 km2, la superficie d’un grand département français, connait depuis quelques années, une étonnante transformation mentale. Sous la poussée d’une jeune génération, née au lendemain du dernier conflit civil qui avait déchiré le pays de 1975 à 1990, un million de Libanais, toutes religions confondues, presque le quart de la population, étaient descendu dans la rue, en mars 2005, à la surprise générale, pour réclamer non seulement le départ de l’armée syrienne, puissance occupante depuis 29 ans, mais pour revendiquer aussi son désir de liberté, de démocratie et de citoyenneté.

Prémices des Révolutions arabes de 2011, ce Printemps libanais a marqué un tournant capital dans l’histoire du pays, avec l’émergence d’un début de société civile (*1). En janvier 2015, deux ans avant sa mort, l’intellectuel libanais Samir Frangieh (*2) exprimait ses espoirs : « notre jeunesse prend ses distance avec les vieux partis politique, embourbés dans des débats stériles et des intérêts personnels pour s’engager dans le mouvement civil. Des associations naissent et sur les réseaux sociaux, les débats critiques fleurissent sur des sujets citoyens : éducation, environnement, justice, santé, droit des femmes, place de l’art et de la littérature. Même la sexualité, auparavant taboue dans les sociétés arabes y est abordée. » Des changements qui dérangent conservateurs et chefs de partis extrémistes, qui, par crainte de perdre leur prérogative, n’ont souvent que la répression et la violence pour y répondre.

Au pays de « 17 confessions » (13 chrétiennes et 4 musulmanes), ce mouvement civil populaire - populaire parce qu’il ne touche plus seulement, comme ce fut le cas naguère, les élites urbanisées - doit sa naissance au P. Grégoire Haddad (*3), un religieux grec-catholique, fondateur du Mouvement social libanais, un mouvement laïc, matrice et  base de ces multiples associations qui voient le jour actuellement dans le pays..

Des associations initiées le plus souvent par des chrétiens, moins contrôlés par leurs hiérarchies religieuses et leurs familles que les jeunes musulmans. Remarquables aussi ces groupes de réflexions islamo-chrétiens qui naissent dans les écoles catholiques, où des jeunes  travaillent ensemble sur la tolérance et l’acceptation de l’autre. Impensables encore avant 1990, ces centres se multiplient aujourd’hui, même dans les écoles de campagnes. Les congrégations féminines, aidées pour beaucoup par l’Oeuvre d’Orient, ont énormément œuvré pour ouvrir et  animer ces centres, où l’on peut voir assis à une même table, des lycéens musulmans et chrétiens réfléchir sur les droits de l’homme, le respect du différent, la richesse de la diversité ou la condition féminine.

 

Le Liban est le seul pays de l’Orient arabe où les chrétiens ne sont pas réduits à une minorité tolérée. Une diversité qui maintient la nation dans une situation, considérée par beaucoup d’observateurs comme miraculeuse, dans un Proche-Orient en guerre permanente.

 

Luc Balbont

 

(*1) En mai 1997, lors d’un voyage au Liban, le pape Jean-Paul II incitait déjà les chrétiens libanais à s’insérer et à travailler avec les musulmans dans vie sociale, économique et politique du pays  - « Une espérance nouvelle pour le Liban », Exhortation apostolique post-synodale du 10 mai 1997

(*2) Entretien avec Luc Balbont à Beyrouth, lire chronique blog du 7 janvier 2015

(*3) Ancien évêque grec-catholique de Beyrouth, décédé à Beyrouth dans la nuit du 23 au 24 décembre 2015, à 91 ans – Lire chroniques blog du 30 août 2014 et du 6 avril 2016