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Nayla Haddad, une jeunesse saoudienne
« Dans ce pays, on peut pratiquement tout faire, mais ça ne doit pas se savoir. »
Elle a vu le
jour à Beyrouth. Juste le temps de naître, dans un Liban alors en pleine guerre
civile. Deux mois plus tard, Nayla Haddad repart avec ses parents dans l’Arabie
Saoudite des années 1980.
Sa famille
habite alors à Al khobar, une ville de plus de 450.000 habitants, située sur le
Golfe persique, à l’Est du royaume, où son père, avocat, travaille comme
conseiller juridique dans une grande société de travaux public.
D’Al Khobar, la famille traverse tout le pays pour emménager à Djeddah, au bord de la Mer rouge, où Nayla est scolarisée à 3 ans au sein de l’Ecole Française. Elle y étudie jusqu’à ses seize ans. Une enfance et une adolescence heureuses, insouciantes, mais totalement coupées de la société saoudienne : « mes camarades d’école étaient en majorité français. On comptait aussi des Libanais comme nous, mais aussi des Noirs africains, des Tunisiens, des Marocains, tous francophones. Leurs parents appartenaient au corps diplomatique, au monde des affaires, des ingénieurs, des spécialistes de la finance islamique. Nous vivions entre nous, dans un ghetto doré. »
L’établissement était mixte, et comme tous les jeunes du monde, des rencontres entre filles et garçons sont régulièrement organisées. Nayla Haddad a aimé sa jeunesse saoudienne. « Dans ce pays, dit-elle, on peut pratiquement tout faire, mais ça ne doit pas se savoir. Tant qu’il n’y a pas de rumeurs publiques, tout va bien. » Ajoutant dans une formule percutante, « en Arabie saoudite, pécher en silence n’est pas péché »
Chrétienne de confession grecque-catholique (melkite), la foi l’a toujours accompagnée. La parole du Christ, la prière font partie de son quotidien. Nayla a parfaitement négocié son épisode saoudien où les chrétiens doivent rester muets, sous peine d’être sévèrement réprimés. « Enfant, j’ai suivi les cours de catéchisme dans la clandestinité. Pour ne pas éveiller les soupçons du voisinage et de la police religieuse, les cours étaient organisés à des jours irréguliers, et nous faisions courir le bruit, que ces rassemblements étaient destinés à nous éduquer à l’art ou au chant. Noël et Pâque se fêtaient dans le secret. Et j’ai fait ma première communion donnée par un prêtre américain dans la maison familiale d’un de nos amis. » La jeune femme se souvient que ses voisins de palier, des libanaises musulmanes venaient, chaque année, aider sa mère à décorer les œufs de Pâque.
En 1993, une école saoudienne, réservée exclusivement aux garçons, est ouverte en face du lycée français. L’atmosphère conviviale qui régnait jusque-là dans le quartier, change brutalement. Un matin, l’école est totalement recouverte de dessins obscènes. Un choc pour la communauté expatriée.
Nayla quitte
L’Arabie saoudite en 1996, parce que « dans ce pays il n’y a pas d’avenir
pour les étrangers ». Elle
a 16 ans, un âge où la mixité scolaire est interdite dans le Royaume.
Elle passe
le bac à Beyrouth où elle est revenue avec sa mère. Le père, lui, reste en
Arabie saoudite.
Aujourd’hui la jeune femme est avocate au barreau de Beyrouth et de Paris. Installée en France, elle s’est spécialisée dans les droits de migrants. Entre des allers et retours entre Paris et Beyrouth, elle s’attelle à aider les étrangers à s’insérer dans la vie française. « Ces exilés aiment la France, ils veulent contribuer à la construction de la société, et surtout donner une éducation démocratique et tolérante à leur enfants, tout en restant en contact avec leur pays d’origine. » Sa plus belle récompense ? Entendre ces migrants dont elle a obtenu la régularisation, lui dire : « Merci, grâce à vous j’existe vraiment et j’espère de nouveau. »
Luc Balbont