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Dernier entretien avec le patriarche maronite Nasrallah Sfeir

Dernier entretien avec le patriarche maronite Nasrallah Sfeir

J’ai retrouvé sur le net le texte de mon dernier
entretien (*1) avec le patriarche maronite Nasrallah Boutros Sfeir, décédé dans
la nuit du 12 mai dernier, à Beyrouth, à l’âge de 99 ans. C’était en septembre
2010, un mois avant la tenue du synode des Eglises catholiques du Proche-Orient
convoqué par le pape Benoît XVI, afin de répondre aux inquiétudes des chrétiens
orientaux, devant la multiplication des conflits et la montée des fondamentalismes
dans la région.

A cette époque, les attentats de Daech ne faisaient
pas les unes des médias internationaux. L’Iran et l’Arabie Saoudite n‘étaient
pas sur le pied de guerre. Les Syriens vivaient en paix, et le Yémen ne
croulait pas sous les bombes. Quant au Premier ministre israélien, il ne
promettait pas encore à ses électeurs d’annexer les territoires palestiniens de
Cisjordanie. Lucide, le  patriarche
maronite exprimait pourtant  toutes ses
craintes.

Neuf ans plus tard, les appréhensions de celui qui
fut le chef de l’Eglise maronite de 1986 
à 2011, année de sa démission, restent non seulement plus que jamais
d’actualité, mais ils incarnent également son obsession de maintenir un Liban
indépendant, libéré des occupations étrangères, et préservant un équilibre
harmonieux entre les différentes communautés chrétiennes et musulmanes. Un cas
unique en Orient et un exemple pour le monde entier.

LB : Pourquoi les responsables des Églises
catholiques d’Orient ont-elles appelé le pape à réunir ce synode, une première
au Proche-Orient ?

SB
Sfeir : Les guerres en Irak, en Palestine, la dégradation des conditions
de vie et cette crise qui frappe encore plus durement nos régions provoquent
une émigration massive des chrétiens. À cette perte humaine, s’ajoute la montée
du fondamentalisme musulman qui se développe depuis les années 1980. Un danger
qui menace tous les chrétiens d’Orient.

Même au Liban ?

Les
chrétiens libanais sont encore nombreux (entre 30 et 40 % environ de le
population) et ils possèdent encore du pouvoir, contrairement à ceux des pays
voisins, mais ils ne vivent plus aussi sereinement que dans les années 1970.
Ils sont désunis, tiraillés entre le pouvoir et l’opposition. Et les immixtions
des puissances étrangères (occidentales, syriennes, iraniennes, saoudiennes)
dans la politique libanaise les fragilisent davantage.

La montée de l’extrémisme musulman préoccupe les
évêques d’Orient. Quelles sont les raisons de son expansion ?

Les
extrémistes musulmans nous qualifient d’agents de l’Occident, et pensent que
nous sommes les alliés des Occidentaux et des Américains, qui occupent l’Irak
et l’Afghanistan et qui soutiennent également Israël. Au Liban, un député du
Hezbollah a récemment déclaré que les Libanais, détenteurs de passeports
européens devaient être considérés comme des espions israéliens

Le Hezbollah, mouvement intégriste de l’islam chiite,
pro-iranien représente-t-il un danger pour le Liban ?

Si
le Hezbollah est un parti de résistance légitime face à l’agressivité  d’Israël (*2), il détient aussi des armes
qu’il refuse de déposer. Il peut utiliser son arsenal à tout moment. Il
représente une force plus puissante que notre armée. Nous ne savons pas ce
qu’il manigance.

Des chrétiens libanais affirment pourtant que le Hezbollah
est un parti comme les autres…

Il
n’en reste pas moins que c’est un parti endoctriné par l’Iran et manipulé par la
Syrie.

Autre dossier qui sera évoqué au synode
d’octobre : le dialogue avec les musulmans. Peut-on réellement dialoguer
avec l’Islam 
?

Certainement !
La majorité des musulmans n’est pas intégriste. Même si le dialogue devient
plus difficile lorsqu’on aborde la théologie.

La laïcité pourrait faciliter ce dialogue ?

Une
laïcité à la française, où les citoyens sont détachés de leur religion, est
impossible au Liban. Les chrétiens libanais restent attachés à leur foi. Et
pour les musulmans, la laïcité n’est absolument pas envisageable. L’Islam laïc
n’existe pas.

Qu’attendez-vous de ce synode ?

Une
affirmation de notre foi et une attitude commune pour faire face aux dangers
qui nous menacent.

Recueilli par Luc Balbont

(*1) Entretien publié sur le site de Pèlerin

(*2) Recueilli par L. Balbont - La Croix,
11nov.1997