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Tenter de comprendre l'autre dans son humanité

Rencontre avec Rita Ayoub, coordinatrice de la formation au dialogue islamo-chrétien à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.

Scène coutumière lors de la guerre civile libanaise. En 1976, Rita Ayoub doit quitter son village de Jwar-el-Hawz, situé à une quarantaine de kilomètres à l’est de Beyrouth. A l’époque, l’enfant qu’elle est, se demande pourquoi les chrétiens qui vivaient jusque-là avec les druzes, secte de l’islam chiite, doivent abandonner leur terre natale, pour échapper aux massacres… Comme tant d’autres, sa famille est contrainte de se déplacer à Beyrouth-Est.

Ce drame va pourtant décider de sa future orientation. En 1990, la paix revenue au Liban, elle reprend des études en médiations et actions sociales, et décide de mieux connaître les musulmans, en se consacrant au dialogue islamo-chrétien.

Cinq ans plus tard, elle rejoint l’équipe de Juliette Haddad (*1), une femme remarquable, auteure d’une somme de plusieurs volumes consacrés aux « déclarations communes » islamo-chrétiennes, organisées depuis 1948 (*2).  

Dès les premières réunions, Rita Ayoub découvre les peurs souvent fantasmées qui empoisonnent réciproquement les relations entre les deux communautés. « Si les chrétiens craignaient les musulmans, et leur stratégie d’islamisation ; ces derniers éprouvaient les mêmes sentiments d’anxiété, notamment face aux soi-disant soutiens que nous apportaient les pays occidentaux, également chrétiens et donc supposés solidaires de nos églises. »

En 1998, Juliette Haddad, souhaitant se reposer, lui demande de reprendre l’animation du groupe. Entourée de convaincus, Rita Ayoub conceptualise une méthode de communication, en s’appuyant sur cette interrogation : comment dialoguer avec celle ou celui qui n’a pas la même religion, les mêmes dogmes, les mêmes livres saints ? En 2004, la formation au dialogue islamo-chrétien est mise en place au sein de l’Institut d’Etudes islamo-chrétiennes (IEIC) à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, sous la direction du Père Salah Abou Jaoudé s.j. Rita Ayoub en assure encore aujourd’hui la coordination.

C’est dans son bureau, situé au 8é étage du grand bâtiment moderne, qui abrite le département des sciences humaines et religieuses de la prestigieuse université jésuite, que Mme Ayoub résume les grandes lignes de son travail. Le premier niveau de la formation dure un semestre. Une quinzaine d’étudiants, chrétiens et musulmans se réunissent chaque semaine durant deux heures.

 « Dans une première étape, explique Mme Ayoub, nous abordons progressivement les obstacles qui paralysent la volonté d’aller à la rencontre du différent. Chacun exprime son vécu, suite à une discrimination qu’il a subi à cause de sa différence confessionnelle. Le participant explique avec franchise la vision qu’il a de l’autre, détaille ses peurs. Un exercice salutaire qui amène à se rendre compte, qu’on partage souvent les mêmes frayeurs. »

La seconde étape insiste sur les bases de la communication, notamment celles liées à la différence de signification des mots. Ainsi, confie la coordinatrice « prière,  prophétie, alliance etc. ont un sens différent pour les musulmans et les chrétiens. » 

Vient ensuite le temps de lister les préjugés de chacun sur la religion de l’autre, et d’évaluer les pistes nécessaires pour se regarder dans sa réalité, loin des perceptions qu’ont les uns vis-à-vis des autres.

Pour clore la formation, un imam et un prêtre, enseignants tous deux à l’Université Saint Joseph, viennent présenter aux participants les doctrines de leur religion, sans éviter les questions sensibles. « On se rend compte alors, qu’en fin de formation, chacun est prêt à mieux comprendre l’autre dans son humanité. » conclut Mme Ayoub.

Quatorze ans après sa création, la formation au dialogue islamo-chrétien ne s’adresse plus seulement aux universitaires et aux étudiants en religions, mais également à d’autres catégories socio professionnelles. Une ouverture, qui selon Rita Ayoub, participe à la construction d’une citoyenneté universelle, en conduisant «  les gens à sentir qu’ils vivent tous sur une même planète, et qu’au-delà de leurs croyances respectives, ils sont tous responsables et liés par ce bien commun. L’autre est un « TU » qui fait partie de «NOUS ». » … Principe fondamental contre les réflexes confessionnels.

                                                                                                                                                             
Luc Balbont

(*1)  Assistée alors de Hiba Nachabeh. Juliette Haddad est décédée en
juillet 2019.

(*2) Consultable
à l’Institut d’études islamo-chrétien de l’université Saint-Joseph à Beyrouth.