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Témoignages d'Arménie : Dans les hôpitaux d'Erevan
Aram Gazarian, 61 ans, raconte lentement, avec le souci constant de trouver le mot juste. Ce chirurgien français, spécialiste de la main, chef de service à l’hôpital Edouard Herriot de Lyon, vient de passer dix jours, du 7 au 17 novembre, avec trois confères (1) à Erevan, capitale de l’Arménie, en pleine guerre alors contre l’Azerbaïdjan.
A la clinique Wigmore, à l’hôpital Erebuni et à l’hôpital universitaire N° 1, il a opéré des journées entières, passé des heures à réconforter des blessés, amenés sans discontinuer, par un va-et-vient ininterrompu d’ambulances et de véhicules divers, du front du Haut- Karabakh jusqu’à Erevan. Son récit n’a rien d’un de ces nombreux journaux de guerre hâtivement écrit par « un baroudeur revenu de l’enfer ». C’est le témoignage d’un médecin français qui n’oublie ni ses origines arméniennes, ni ses grands-parents, forcés de se réfugier en France, pour échapper au génocide perpétré par les Turcs-ottomans contre la communauté arménienne entre 1894 et 1915. D’ailleurs, précise-t-il, « je n’étais pas au front, mais à l’arrière, où je n’ai couru aucun danger.»
S’il n’était pas en première ligne, Aram Gazarian a durant sa mission côtoyé la détresse et la douleur, le cauchemar de la guerre: « c’était horrible ! Les soldats, très jeunes pour la plupart, arrivaient le corps déchiré, troué, victimes de bombes à sous-munitions. Des armes interdites employées par l’armée azerbaidjanaise, en violation du droit international. » Du côté arménien, on parle de plus de 4000 morts, un bilan hélas provisoire.
Durant dix jours, les quatre médecins lyonnais ont travaillé en étroite collaboration avec des équipes médicales locales, organisées et compétentes. « Beaucoup avaient du reste complété leur cursus à l’étranger, confie le chirurgien. C’est surtout par notre présence que nous leur avons apporté de la valeur ajoutée. Notre mission était plus humaniste qu’humanitaire.»
Sur le terrain, mal préparée, sous équipée, sans soutien de la communauté internationale, abusée par «son allié russe» resté neutre durant les combats, face à un adversaire azerbaidjanais qui bénéficiait de l’appui militaire de la Turquie, et qui avait la maitrise du ciel grâce aux drones achetés aux Turcs et aux Israéliens, la petite Arménie plie au bout de six semaines de combats.
Dans les chambres et les blocs opératoires, la souffrance des combattants se grave dans la mémoire du médecin. Comment oublier ce garçon d’une vingtaine d’années, qui lui demande de lui tenir la main pendant qu’on lui refaisait son pansement. « Reste ne pars pas ! » murmure le blessé, les soins terminés … Et cette jeune femme venue avec un groupe de musiciens et de chanteurs pour soutenir les soldats, qui fond en larmes dans ses bras, au lendemain de la perte avérée d’une grande partie du Haut-Karabakh. « Des larmes qui donnaient un sens à notre présence, qui nous faisaient comprendre pourquoi nous étions là.»
« Seule l’action permet de dépasser la souffrance et l’état de dépression » affirme le médecin. Rebâtir ? Ceux qui ont fui le Haut-Karabakh auront–ils le courage de se réinstaller dans ce qui reste de leur territoire, après le traumatisme vécu ?
Occupée successivement durant des siècles par les Perses, les Turcs et les Soviétiques, l’Arménie a lutté et résisté pour retrouver son indépendance. Pour renaître en 1991 avec sa langue et sa foi chrétienne, dans un voisinage hostile. Sur environ douze millions d’Arméniens, seuls trois millions à peine vivent en Arménie. Une diaspora active accrochée à ses racines et qui entend préserver son patrimoine et sa langue (2). Toute la force de l’Arménie…
Luc Balbont
(1) Les docteurs Sophie Brosset, Victor Rutka et Arnaud Walch
(2) Le docteur Gazarian est membre de « Terre et Culture » une organisation qui protège et valorise le patrimoine arménien.
L’Œuvre d’Orient lance un fonds de soutien pour soutenir les Arméniens L’Œuvre d’Orient – Z03A – 20 rue du Regard, 75006 Paris