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La foi de Khalil Darwish “Je prie dans les mosquées comme dans les églises.”
S’il est un rendez-vous que Khalil Darwish ne manquerait pour rien au monde, c’est bien celui du vendredi, “le dimanche des musulmans”. Ce jour là, qu’il vente, pleuve ou gèle, il quitte son magasin d’accessoires ménagers, et d’un pas alerte se rend à la mosquée de Batroun, vieux port du littoral nord Libanais, pour y prier. Durant la guerre civile, dans les années 80, quand les milices chrétiennes et musulmanes s’entretuaient, le minaret de la mosquée a été bombardé. La ville est à 90% chrétienne, et par peur, beaucoup de familles musulmanes ont alors émigré. Pas lui. “ Si je suis resté, dit-il, je le dois à la force que Dieu m’a toujours donné. J’ai confiance en Lui.”
A 85 ans, ce musulman sunnite en a vu d’autres :
- la guerre civile,
- les occupations syrienne et israélienne,
- et sur un plan personnel, la mort de sa femme et de quatre de ses six enfants, emportés en quelques mois dans la force de l’âge.
Alors quoiqu’il arrive, Khalil Darwisch restera ancré à Batroun où il est né, et c’est là qu’il finira sa vie. Le minaret de la mosquée a été reconstruit et la ville est restée chrétienne. Pourquoi devrait-il avoir peur ? Puisque au final, “Dieu décide de tout, inch’Allah ! … Il a mon destin en main, Il m’accompagne. Avec Lui, je suis tranquille, je peux tout supporter.”
Sa seule crainte serait de ne plus croire, car, sans la foi assure-t-il, “nous sommes capables du pire. Je n’ai jamais douté, même lors de la mort de mes enfants. J’accepte la volonté de mon Créateur. Il me suffit de regarder autour de moi, pour comprendre que mon existence n’est pas le fruit de la science.”
Si Khalil se rend chaque vendredi à la mosquée, proche de son magasin, il avoue sans hésitation prier aussi dans les églises, lorsqu’il est invité à un mariage, à un baptême ou convié à la messe d’enterrement d’un ami chrétien. Lorsqu’il était enfant son père allait vendre des gâteaux à la sortie de la cathédrale. En l’attendant, il assistait à l’office pour se recueillir et chanter. “L'Église c’est aussi la maison de Dieu. Aujourd’hui encore, je n’ai aucun problème pour y prier. Je m’y sens en paix. Dieu n’est ni chrétien, ni musulman, Il est au-delà.”
Malgré la crise économique qui frappe sa ville, et la montée “ de l’agressivité des chiites qui, selon lui, veulent chasser les sunnites du Liban,” Khalil Darwish vit heureux à Batroun, entouré de ses amis chrétiens. Madeleine, qui le seconde dans son commerce depuis une trentaine d’années est chrétienne. Lorsqu’elle était étudiante, elle venait déjà travailler chez lui durant ses vacances. Mimo (son surnom) connaît tout de son patron, et c’est vers la jeune femme qu’il se retourne, durant notre entretien, lorsqu’il ne se rappelle plus d’une date importante de sa vie. Toute en douceur et en sourire, Mimo lui remémore un évènement, lui précise une anecdote. Il acquiesce. Entre eux, la confiance est totale. “En 1992, j’ai été élu maire adjoint de Batroun, grâce aux électeurs chrétiens, qui n’ont pas hésité à voter pour moi. Je suis resté en poste jusqu’en 2010. C’est bien la preuve que nous pouvons vivre et travailler ensemble … Inch‘Allah ! “
Luc Balbont