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« Aschraf, mon ami, mon frère ! » Histoire d’une famille islamo-chrétienne
Un intellectuel charismatique et polyglotte, un globe-trotter bardé de distinctions. Économiste du développement mondialement reconnu, diplômé de l’Institut national agronomique de Paris, Riad Fouad Saadé, né en 1941 à Beyrouth, est aussi passé par la Sorbonne où il a obtenu un doctorat en Géographie économique. Patron du Comptoir agricole du levant, une entreprise bientôt centenaire présente dans tout le Moyen-Orient, l’homme parle avec chaleur de son beau-frère, Aschraf Ghani, élu président d’Afghanistan en 2014. Rien d’étonnant jusque-là en Orient, où la solidarité « du clan » est de règle, si ce n’est que Riad Saadé est chrétien, issu d’une famille maronite libanaise traditionnelle, et que l’époux de sa sœur, musulman sunnite, est natif d’un pays, où la foi coranique est indissociable de la vie quotidienne. Or, ce qui aurait pu être un sujet de conflit irréversible a rapproché les deux hommes, qui vivent profondément leur foi, tout en ayant découvert avec respect celle de l’autre.
[caption id="attachment_834" align="alignleft" width="584"] Dans le bureau de Riad Saadé, le père de Riad entre l'Abbé Pierre et Mgr Haddad, fondateur du Mouvement social libanais[/caption]
C’est dans les années 1970, alors qu’il est étudiant en sociologie, que le jeune Aschraf Ghani, alors âgé de 23 ans, fait connaissance de Rola Saadé, une jeune chrétienne du même âge. Diplômée de Sciences-Po Paris, elle partage avec Aschraf les mêmes bancs et les mêmes cours de l’Université américaine de Beyrouth. Coup de foudre, les jeunes gens se marient en 1975. « Notre père, maronite, plutôt conservateur, acceptât dans sa grande sagesse que ma sœur se marie selon le rite musulman, respectant la volonté de sa fille et l‘amour qu’elle éprouvait pour ce jeune Afghan. Rola demeurera cependant chrétienne, » se rappelle Riad, tout sourire.
Les études terminées, le couple file aux États-Unis pour poursuivre ses études, à l’université de Colombia à New-York, Rola en journalisme, Aschraf en anthropologie. Quand ils obtiennent leurs diplômes, les Soviétiques occupent l’Afghanistan, prélude d’une longue guerre qui verra, bien plus tard, les talibans transformer le pays en Émirat islamique. La famille reste en Amérique, où Aschraf enseigne l‘anthropologie à Berkeley, puis à John Hopkins, avant d’intégrer la Banque mondiale en 1991. Le couple s’installe en Afghanistan en 2001, lorsque son pays est libéré du joug islamiste, grâce à l’intervention de la coalition internationale, menée contre l’Émirat taliban par les États-Unis. Aschraf Ghani sera l’un des organisateurs de la Conférence de Bonn, et le principal rédacteur de la nouvelle Constitution afghane.
Dès son retour, Aschraf Ghani se lance en politique. Avec ce qu’il a appris en Occident, il entend servir son pays. Confidence de son beau-frère : « Aschraf éprouve un désir viscéral de voir l’Afghanistan sortir de la guerre, des conflits et du sous-développement. Il connait les richesses de son peuple, et se consacre pleinement à la reconstruction de son pays natal. » Élu par le peuple président du pays en 2013, contre le souhait des grandes puissances qui lui auraient préféré un candidat plus malléable, Aschraf Ghani est aux commandes depuis.
[caption id="attachment_835" align="alignleft" width="640"] Riad Saadé à Beyrouth avec Luc Balbont[/caption]
A Beyrouth en octobre dernier, où je devais lui remettre une lettre que m’avait confiée un de ses amis français, Riad Saadé m’a longuement parlé de l’Afghanistan, où il se rend régulièrement. Riad qui parcourt le monde entier pour donner des conférences sur le développement durable, suit, enthousiaste, l’action de son beau-frère. « Dans un pays difficile, où l’éducation et les structures font défaut, Aschraf se bat avec un courage admirable. A ses côtés ma sœur l’épaule et s’engage pour l’éducation des jeunes et la réhabilitation de la femme afghane, victime de traditions d’un autre âge. Rola et Aschraf forment un couple uni, poursuit Riad. Leurs deux enfants ont été élevés dans la tolérance et la connaissance des deux religions. Et ma sœur vit pleinement sa foi chrétienne.»
Ému, la gorge serrée, Riad confie : « Ashraf est un honnête homme. Il mérite qu’on le soutienne.»…
En ces temps de méfiance et de fermeture entre les religions musulmane et chrétienne, l’histoire commune qui unit les deux familles devait être racontée.
Elle démontre que l’amour, la connaissance et l’éducation dépassent tous les obstacles, même ceux que l’on croyait insurmontables.
Luc Balbont