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Farès Egho - De la Syrie à la banlieue parisienne, le parcours d’un opposant syrien

Sa famille vient de Mardine dans un temps où il n’y avait pas encore de Turquie, mais un grand empire ottoman qui comprenait la Syrie, l’Irak, de Liban, la Palestine et la Jordanie.

En 1923, Français et Anglais s’étant partagé le Proche-Orient quelques années auparavant, Mardine devient turque, et Alep syrienne. C’est dans cette ville que la famille de Farès Egho, syriaque catholique, s’installe. Sans doute pour fuir le spectre d’un nouveau génocide des chrétiens, comme celui de 1915.

D'Alep, en Syrie aux Ulis, dans l’Essonne, où il a débarqué fin 2012, c’est tout le parcours de Farès Egho (*1), réfugié politique de 61 ans, qui ne supportait plus d’être pris en étau entre une dictature oppressante, et des islamistes qui le considéraient comme le défenseur d’une laïcité hostile à l’islam. « Je pouvais, dit-il, être enlevé ou tué tous les jours, soit par les islamistes, soit par le pouvoir.»

Aux Ulis, Farès Egho passe ses journées dans un petit appartement entre ses livres, ses philosophes et ses poètes préférés, vibrant toujours d’un amour dévorant pour sa Syrie natale. Mais si les réunions clandestines, les longues discussions, et les appels lancés pour construire une société civile syrienne durable lui manquent, Il n’a pas désarmé. En France, son combat politique continue…

Comment oublier Alep, où Farès Egho a passé sa vie ? Médecin rhumatologue, après cinq années de spécialisation en France, il y ouvre son cabinet en 1992, s’y marie en 1996, ses deux filles y naissent en 1999 et 2003. C’est aussi dans cette ville chargée d’histoire et de drames, qu’il rejoint en 2002, les « Comités de Revitalisation de la Société Civile » (CRSC).

Au sein de ce comité d’une vingtaine de personnes, issues de la classe moyenne, où il est l‘unique chrétien, le docteur Egho et ses amis travaillent clandestinement, à échafauder une société future, démocratique et ouverte, reposant sur une laïcité à la syrienne qui ferait place à la religion, si importante dans ce pays.

Les oppositions sont doubles. Tout d’abord, faire face à un régime despotique omniprésent : « Les réformes espérées avec l’arrivée au pouvoir en 2000 de Bachar al Assad, le fils de Hafez qui avait dirigé le pays d’une main de fer pendant 30 ans, ont été annihilées. Après avoir envahi l’Irak voisin en 2003, l’Amérique de Bush menaçait la Syrie. Par crainte d’une occupation américaine, le régime s’est alors refermé, plus question d’ouverture.»

L’islam qui se radicalise davantage est le second obstacle au projet. « Les régimes arabes ont trouvé dans la religion une solution qui leur permet de calmer leur opinion publique, ils se servent de l’islam comme d’un paravent pour masquer leurs incompétences. Implanté littéralement dans la mémoire populaire, l’islam doit se réformer, mais comment passer d’une dictature religieuse à une société citoyenne, aller de la loi coranique à la constitution civile ? »

Durant plus de quinze ans, Farès Egho et les membres des Comités de revitalisation de la société civile, présents dans les quinze régions du pays, tentent de faire évoluer les mentalités. Mais les égos, et les ambitions personnelles finissent par saper les volontés. Au sein du groupe d’Alep, des dissensions se font jour. Certains prônent un engagement armé total pour faire tomber le régime, d’autres comme Farès optent pour une résistance pacifique: « l‘opposition démocratique a perdu la bataille, le jour où  une partie de ses soutiens ont pris les armes, fin 2011, regrette-t-il. Le pouvoir n’attendait que cela. A partir de ce moment les islamistes sont arrivés de partout, d’Irak, d’Afghanistan, du Maghreb, et même d’Europe. La guerre civile s’est confessionnalisée, et le régime a retourné en sa faveur l’opinion syrienne et internationale, qui craignait la montée du djihadisme comme en Irak. » Farès reconnait pourtant que la guerre est aujourd’hui nécessaire pour éradiquer l’islamisme, qu’il est trop tard pour agir autrement, mais prévient-il : « la guerre sera très longue, car on ne combat pas une idéologie avec des bombes.»

La France qu’il habite aujourd’hui, Farès la connait pour y avoir étudié entre 1996 et 2001. Et s’il aime la liberté qui règne dans notre pays, il se demande si cette liberté ne reflète pas un individualisme et un égoïsme forcenés. Il se questionne aussi sur l’indifférence religieuse. Partisan d’une laïcité ouverte, il se demande « pourquoi la France refuse de reconnaître ses racines et son histoire chrétienne ? »… Aux Ulis, où il ronge son frein, il pense à Alep tous les jours, et rêve d’y retourner pour reconstruite sa Syrie idéale. Une Syrie où chacun se reconnaîtra d’abord Syrien.

 

Luc Balbont

(*) A la recherche de la société civile en Syrie Farès Egho avec Jean-Marc Chanel – L’Harmattan -227 page 23,50 euros