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« L’horizon trouble des chrétiens en Syrie », par Luc Balbont
Dans les salons d’accueil des églises et des cathédrales syriennes, entre les photos des Patriarches orientaux pour les paroisses orthodoxes, et celle du Pape François pour les confessions rattachées à Rome, trône le portrait du président Bachar al-Assad, signe de ralliement des responsables chrétiens au pouvoir en place.
« Ici 70% des chrétiens soutiennent le régime, » m’avait confié, il y a un an le P. Imad, curé melkite de la paroisse Kachkour, un quartier sud de Damas. « La montée de l’islamisme radical, ajoutait-il, est un cancer pour nous. Seul un régime fort peut y faire face, et protéger notre communauté.» Un argument que réfute Boutros Hallaq. Pour ce chrétien melkite, docteur en langue et littérature arabes, Assad et son entourage ne protègent en rien les chrétiens, mais se sert plutôt d’eux pour renforcer son pouvoir. « Voilà près d’un demi-siècle que ce clan assure son emprise en dressant les communautés les unes contre les autres, s’emporte l’universitaire. Chrétiens contre musulmans, chiites contre sunnites, kurdes contre Arabes. » Selon M. Hallaq, la protection des chrétiens n’est qu’une stratégie de la dictature régnante, masquée par une idéologie laïque mensongère, puisque depuis l’arrivée au pouvoir du clan Assad, « le nombre des moquées a été multipliée par vingt, et que l’aide de l’Arabie saoudite aux associations salafistes s’est largement accrue. »
Boutros Hallaq a quitté son pays natal, pour la France à l’âge de 26 ans. Né à Yabroud en 1944, près de Damas, il ne peut plus revoir les siens, restés sur place. Sa dernière visite dans son pays natal remonte à février 2011, un mois avant le début de la rébellion, une période où les Syriens croyaient encore à des réformes démocratiques. Fiché comme opposant, le professeur de littérature arabe qu’il a été à l’université Paris III, est aujourd’hui coupé de sa vieille mère de 94 ans, et de ses frères et sœurs. Un mois après sa dernière visite en Syrie, le peuple s’était soulevé pacifiquement contre le régime, et un grand nombre de chrétiens syriens soutenait la rébellion. Bachar al-Assad, successeur de son père Hafez en 2000, avait alors confessionnalisé le conflit, distribuant des armes et répondant aux demandes de liberté par une répression sanglante. Progressivement, les combattants djihadistes avaient investi la rébellion, arrivant en masse de l’étranger pour se mêler aux insurgés. Les revendications devenaient de plus en plus islamiques. Les chrétiens se sentaient de plus en plus marginalisés, exclus, voire menacés..
« D’autant explique Boutros Hallaq, que le Conseil National Syrien (CNS), organe officielle de la rébellion, fut peu à peu noyauté par le Qatar, soutien des frères musulmans sunnites, dont plus de 20 000 militants furent massacrés en 1982 à Hama, par l’armée syrienne, majoritairement alaouite (*1). Naïfs, les leaders chrétiens de l’opposition n’avaient pas vu venir l’emptise des frères sur le CNS. »
Par peur plus que par conviction, l’immense majorité des chrétiens syriens restés au pays finit par opter pour la dictature. Epaulé par des milices chiites iranienne, libanaise, et afghane, le clan Assad réussit à persuader la majorité de son peuple et la communauté internationale, que son maintien à la tête du pays constitue l’unique rempart contre le terrorisme islamiste.
Aujourd'hui, les espoirs suscités par le « Printemps syrien » se sont envolés, et des centaines de chrétiens fuient ou se terrent. Un tiers d’entre eux (*2) aurait quitté leur maison pour se déplacer dans une autre ville syrienne, en attendant de s’exiler à l’étranger… D’où ils pourront peut-être faire entendre ce qu'ils ont à dire, en toute liberté.
Luc Balbont
(*1) Secte chiite
(*2) « Sur environ 1,7 millions de chrétiens qui vivaient en Syrie avant mars 2011, 600 000 auraient déjà quitté leurs maisons, dont grand nombre pour l’étranger.» Propos tenus par un religieux franciscain à Damas, en août 2016.