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A la rencontre des chrétiens syriens

Quatrième volet d’un récit de voyage en Syrie.

Mardi 23 août

Verbe doux, rondeur rassurante, barbe brune et lunettes rondes : au prime abord le P. Chihade Abboud, 38 ans, a tout de l’intellectuel solitaire, retranché dans son univers. Image trompeuse qui cache en vérité une personnalité engagée, active et déterminée, qui peut bousculer s’il le faut, les conservatismes du christianisme oriental. Ainsi, en 2004, contrairement à la règle établie, il avait insisté pour que ses vœux soient prononcés dans l’église de Jadidet Artous, son village natal, dans la banlieue de Damas. « Les ordinations se déroulent habituellement au patriarcat. Moi, je tenais à partager ma nouvelle vie, avec ceux qui m’avaient vu grandir, mes parents, mes voisins, mes amis. »

[caption id="attachment_784" align="alignleft" width="2448"]Le Père Chihade Abboud. Le Père Chihade Abboud.[/caption]

 

 

[caption id="attachment_786" align="alignleft" width="640"]Le P. Chihade Aboud avec le P. Michel, économe du patriarcat. Le P. Chihade Aboud avec le P. Michel, économe du patriarcat.[/caption]

Études en Syrie, puis au Liban. Il s’exile ensuite en Italie trois ans et en Espagne, quelques mois, le temps d’obtenir un doctorat en droit canonique, tout en terminant parallèlement un mémoire sur les prêtres mariés dans l’Église melkite. Aujourd’hui, il occupe un poste de juriste religieux. « En Syrie, explique-t-il, il existe des tribunaux religieux, chrétiens et musulmans… Et si nous respectons le code civil et la constitution, nous pouvons faire valoir nos droits communautaires. »  Le P. Chihade défend non seulement les Melkites, mais conseille aussi les Eglises maronite et Syriaque catholique.

Auteur, il a écrit trois livres, dont un sur Saint-Georges et traduit de l’italien un ouvrage du Cardinal Tchèque Thomas Spidlik.  Homme de réflexion, il prépare un volume sur les parfums de Dieu. « Lorsqu’il pleut, résume-t-il, j’aime sentir l’odeur de la terre mouillée, or la pluie est une bénédiction divine, qui révèle par sa senteur au sol, la présence de Dieu à l’homme. Tant d’autres exemples peuvent être cités. »

Penseur, poète, le P. Abboud a le verbe franc. Il n’hésite pas à exprimer sa déception, lorsque les Patriarches chrétiens produisent sur les Églises orientales un texte diplomatique « trop mou » : « Si les chrétiens en cette période de guerre n’ont pas de chefs forts pour les défendre, ils émigreront davantage. Les familles partent, quand elles n’ont plus d’espoir. »

Le P. Abboud aimerait voir émerger un début de citoyenneté en Syrie, mais, déplore-t-il, « Notre Constitution est on ne peut plus claire. Les articles 3-1 et 3-2 stipulent que le président doit être musulman et pose la charia comme source principale de toute législation. A partir de là, peut-on parler d’une citoyenneté authentique ? (*1)Contrairement au Liban voisin, où se développe un mouvement civil, la Syrie accuse un retard en ce domaine. Et si beaucoup de chrétiens en leur for intérieur en sont partisans, les musulmans se montrent plutôt réticents. « Les relations avec l’islam ne sont pas faciles », admet le prêtre, qui justifie cette difficulté par le manque cruel d’éducation, touchant une grande partie de la communauté. « Avec un musulman qui a reçu une éducation scolaire et universitaire classique, le dialogue de vie est possible»

Le P. Abboud qui ne croit pas au dialogue interreligieux, insiste, en revanche, sur ce dialogue de vie, qu’il appelle « L’éthique universelle partagée ».  Il s’emporte contre cette vision naïve des relations islamo-chrétiennes. « Il faut être ferme avec ces imams qui ont un double discours. Conciliant en public, mais qui, dans leur village, leur quartier, envoient des gamins faire le jihad. Le dialogue de complaisance est mensonger. »

Pour pérenniser la présence des chrétiens en Syrie, le Père Chihade mise sur l’éducation. « Le seul domaine où il reste un mince espoir, martèle-t-il. En Syrie, un grand nombre de familles musulmanes envoient leurs enfants dans les écoles chrétiennes, où ils savent qu’ils recevront une éducation de qualité. Les chrétiens ont là un rôle déterminant à jouer. » Pour cette raison, le prêtre a mis en place, avec un cercle d’amis, un système de parrainages pour permettre à des jeunes défavorisés, d’aller au bout de leurs études. « Tous les parents du monde, quelque soit leurs conditions et leurs religions partagent cette même envie, de donner à leurs enfants la meilleure éducation possible. » Propos où l’on retrouve ce principe de l’éthique universelle partagée, si cher au P. Abboud.

[caption id="attachment_788" align="alignleft" width="640"]Le Patriarcat grec-catholique de Damas. Le Patriarcat grec-catholique de Damas.[/caption]

Mercredi 24 août

Sixième année de guerre civile, près 300 000 morts, 3,5 millions de réfugiés, 7 million de déplacés (*2). Tous les jours, le fracas des obus et des tirs de mortier se font entendre. Au bout de ces bruits : la mort, des orphelins et des veuves.

16 heures. Dernier entretien avec le P. Bachar Laham, petit cousin de Grégoire III. Bachar est né il y a 28 ans à Derayah, près de Damas. De 2006 à 2012, Il étudie la philosophie et la théologie à Harissa, au Liban, chez les Frères Paulistes. Ordonné prêtre le 19 décembre 2014, Bachar entend rester en Syrie. Toute sa famille a émigré en Allemagne. Lui n’a aucune envie de les rejoindre. « J’aimerais, confie-t-il, travailler dans le secteur de l’éducation avec les enfants. C’est là que je me sens pleinement utile ».

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[caption id="attachment_785" align="alignleft" width="640"]Le Père Bachar Laham Le Père Bachar Laham[/caption]

 

 

 

 

 

Jeudi 25 août

4 heures du matin : c’est le départ pour Beyrouth en taxi collectif. Nous sommes trois à voyager. Ahmad, jeune chauffeur musulman, attend devant le patriarcat. Il fait nuit. Hicham, le concierge ouvre la porte. Deux femmes m’accompagnent, une Syrienne devenue libanaise et une jolie Damascène de 29 ans, qui transite par Beyrouth avant de gagner Dresde, en Allemagne pour s’y s’installer.

Prix du voyage : 40 euros environ. Vers 6 heures, je passe la frontière libanaise. 1,5 million de réfugiés syriens vivent au Pays du Cèdre. Dans la région où j’habite, la plupart de ces exilés sont sunnites et viennent de la province d’Idlib, au nord, Ils ont fui Daech et les bombardements du régime. Contrairement aux chrétiens, ils rejettent en majorité la famille Assad. La réconciliation sera bien le défi majeur de la Syrie future.

L.B

(*1) Constitution de 1973, révisée le 26 février 2012 – Article 3-1. La religion du président de la République et l’islam – Article 3-2. Le droit musulman est la source principale de la législation.

(*2) le bilan est difficile à établir. Il va de 260 000 morts jusqu’à plus de 400 000 selon les sources. Il diffère aussi pour le nombre de réfugiés (entre 3,2 millions et plus de 4 millions) et de déplacés (entre 5 millions et 8 millions). La Syrie comptait 22 millions d’habitants avant la guerre de 2011.