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Alep, bientôt terre de mission?
Rencontre avec Mgr Joseph Tobji, archevêque maronite d’Alep
Avant que l’Œuvre d’Orient me demande de faire son portrait pour le prochain numéro de son bulletin (*1), j’ignorais son nom. Et j’aurais été incapable de le reconnaître, en le croisant dans la rue. Il est vrai qu’être Syrien et pas Libanais, quand on est de confession maronite constitue un « sérieux handicap », car, en Syrie, les maronites ne sont ni dominants, ni aussi influents comme au Liban voisin. Mais qu’importe la notoriété ! Pour le P. Tobji, il faut d’abord relever Alep de ses ruines, et réconcilier les âmes après dix ans de guerre civile.
Joseph Tobji est le cadet d’une famille de six enfants : deux filles et quatre garçons, dont deux prêtres. Des parents très engagés dans l’Eglise maronite, assidus aux offices. Lorsqu’il nait en 1971 à Alep, la ville fait encore rêver. Le charme de ses ruelles, de son vieux souk, la beauté de ses mosquées et de ses églises enchantent les visiteurs. Georges son père vend des matériaux de construction, Salwa, sa mère libanaise, femme au foyer. Joseph Tobji se rappelle ces années de bonheur : « J’ai eu une enfance et une adolescence heureuses, passées entre mes sœurs, mes frères, mes amis scouts et des parents toujours présents. » Il raconte volontiers ses jeux de gamins dans les rues d’Azizieh, son quartier, où il faisait si bon vivre.
Scolarisé à l’école des Arméniens catholiques d’Alep jusqu’au bac, il part ensuite étudier la philosophie et la théologie à Rome en 1990, pour répondre à l’appel de Dieu. De retour à Alep en 1996, il est ordonné prêtre dans sa chère cathédrale Saint-Elie. Il y restera curé jusqu’en 2014 : « je me sentais pleinement épanoui, à la fois proche des gens et de Dieu. »
Lorsqu’en 2011, la guerre civile éclate en Syrie, personne ne pensait que la violence persisterait. « Moi le premier, j’étais persuadé que la tragédie ne durerait que quelques mois. » Rapidement pourtant le conflit s’étend à tout le pays. En 2012, Saint-Elie qui se trouve sur la ligne de démarcation entre des rebelles, rapidement « djihadisés » à l’est, et l’armée gouvernementale à l’ouest, subit ses premières destructions. Fin 2014, elle n’a plus de toit. Le père Tobji part pour l’évêché d’Alep, moins exposé, puis se met au service du diocèse de Lattaquié, sur le littoral syrien. Un exil qu’il supporte très mal. Il est au bord de la dépression.
Un passage à vide de courte durée. Intronisé archevêque maronite d’Alep en 2015, il retrouve toute son énergie, « En Orient, dit-il, un évêque est constamment sollicité par ses fidèles, on frappe à sa porte à tout moment pour régler les problèmes : conflits de voisinages ou difficultés familiales ». La seule chose qui le chagrine, rapporte son ami d’enfance Simon Ayoub, c’est de ne plus pouvoir utiliser son vélo pour ses visites « chez nous, un évêque doit tenir son rang. »
Reprise en 2016 par le pouvoir, où en est Alep aujourd’hui ? Si les armes se sont tues, les Aleppins survivent. « La situation est pire que sous les bombes, s’attriste l’archevêque, le salaire mensuel est de 17 euros par mois, et à cause des sanctions européennes et américaines, l’aide alimentaire n’arrive plus. 90% de la population vit sous le seuil de la pauvreté. »
Restera-t-il encore des chrétiens dans cette ville qui fut par le passé un des grands centres du christianisme oriental ? « L’année dernière, je n’ai célébré que deux baptêmes, s’émeut le P. Tobji, qui garde pourtant l’espoir. Au centre social de la ville, dirigé par une équipe de fidèles, et soutenu par l’Œuvre d’Orient, les musulmans affluent, étonnés et impressionnés par l’hospitalité chrétienne … « le signe qu’Alep devient une terre de mission. Le Christ ne peut pas nous abandonner. » affirme le P. Tobji.
Luc Balbont
(*1) A lire dans le N° 803, à paraître mi-mai 2021
Photos : ©Jean-Matthieu Gautier