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Arménie, une nation et sa foi
Une révolution sans violence
Depuis la mi-avril 2018, des milliers d’Arméniens descendaient quotidiennement dans les rues de Erevan, la capitale du pays, réclamant la démission de l’ancien président Serge Sarkissian et de son clan, le parti républicain, qui depuis 20 ans, « se sert du pays comme d’une lessiveuse pour blanchir l’argent de leur juteux trafic » explique un opposant. Une révolution pacifique. Pas un mort, pas un blessé. Un vrai miracle, avec au final la nomination, le 8 mai dernier, de l’opposant Nikol Pachinian, un journaliste charismatique de 42 ans, au poste de Premier ministre.
Miracle ! Le mot sied parfaitement à ce pays. Premier état chrétien officiel du monde, fondé sur la foi dès le tout début du 4ème siècle (°1), bien avant Rome, avec la création d’un alphabet spécifique pour traduire, enseigner et propager l’Evangile (*2).
Une fondation et un héritage que cette nation chrétienne a cultivé tout au long de son histoire, et qui lui a permis de surmonter les drames qui l’ont frappée : destructions diverses, un génocide à grande échelle perpétré par les gouvernements ottomans et jeunes turcs (1,5 million de morts en 1915), suivi d’une occupation soviétique marquée par des déportations et des discriminations répétées jusqu’à l’indépendance, en 1991.
Après de siècles de soumissions, ces premières années de liberté ont pourtant été marquées par une suite d’épreuves pour les trois millions d’habitants restés au pays. Blocus de la Turquie à l’Ouest ; guerre larvée avec l’Azerbaïdjan à l’Est ; relations compliquée avec la Géorgie et la Russie. « Le seul pays frontalier avec lequel nous n’avons pas de problème reste l’Iran chiite » ironise Philippe Sukiasyan, enseignant et diacre de l’Eglise apostolique arménienne.
Conséquences de l’enclavement : une économie malade, une pauvreté galopante, un Arménien sur trois vit sous le seuil de pauvreté, avec une corruption endémique et massive. « Des fortunes immenses se construisent sur le dos de la population. Le salaire moyen est de 245 euros, et la pension d’un retraité n’excède pas 50 euros. Pour faire vivre leur famille les Arméniens s’exilent, souvent vers la Russie proche, ou plus loin, vers l’Europe et les Etats-Unis » confie Philippe Sukiasyan.
C’est contre l’arrogance de ce clan de dirigeants corrompus, au pouvoir depuis des années, et soupçonné de travailler avec des affairistes russes douteux, que la population s’est rebellée. Des manifestations monstres, où l’Eglise qui se confond avec la nation arménienne, a joué au mieux, un rôle d’accompagnement. « Excepté Mgr Atchabayan, évêque de Gumry qui s’est ouvertement déclaré pour l’opposition, le patriarcat est resté plutôt discret » analyse Philippe Sukiasyan. Contrairement aux responsables, les paroissiens et les prêtres de base étaient, en revanche, dans la rue, pour dénoncer sans violence la situation de leur pays.
Dans les cortèges, des croix voisinaient avec les panneaux revendicatifs, avec cette scène surréaliste que Philippe Sukiasyan montre sur l’écran de son téléphone portable : un groupe de policiers récitant le Notre-Père avant de veiller au maintien de l’ordre, face à des manifestants leur répondant par des encouragements et des appels à les rejoindre (3).
L’Arménie, une nation à part, enracinée dans une foi, qui la fait toujours renaître.
Luc Balbont
(*1) Entre 301 selon la tradition, en 314 pour beaucoup d’historiens
(*2) le moine Machtots vers 405
(*3) Հանրապետության հրապարակում ոստիկանները «Հայր մեր»-ն են աղոթում