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Au sud de Beyrouth, des Libanais se fédèrent pour sauver leur histoire

LA VALLÉE DE BISRI, AU-DELÀ DU CONFESSIONNALISME 

C’est à la fois un site naturel exceptionnel, le jardin potager et fruitier du Liban qui aurait disparu sous les pelleteuses des promoteurs, si la construction du barrage sur la rivière Awali, qui traverse la vallée de Bisri, s’était réalisée.

Des terres préservées, coincées entre le Chouf, patrie des druzes et la région chrétienne de Jezzine : une vallée magnifique située à 40km au sud de Beyrouth. Le barrage avait pour objectif d’alimenter la capitale libanaise en eau potable.

Mais ce ne sont pas seulement des centaines d’arbres fruitiers, des jardins légumiers, et des rangs de vignes qui auraient été engloutis sous les eaux, c’est aussi toute une partie de l’histoire du pays du Cèdre rayée, submergée en quelques mois : fondations d’habitats phéniciens rasées, antique voix romaine entre Saïda et  Damas effacée, vestiges de l’âge de bronze perdus, temple romain aux colonnes de granit noir anéanti, tout comme des ruines de l’époque byzantine, des ponts et des églises. En tout, cinquante sites archéologiques à jamais noyés.

« C’était oublié que les habitants de la dizaine de villages que compte la vallée ont noué des liens très forts avec leur histoire, avec cette terre où se sont croisées tant de civilisations, » affirme Roland Nassour, « Et que les familles des diverses communautés y vivent en harmonie. »

Lorsqu’il apprend le projet gouvernemental, le jeune architecte urbaniste, 29 ans, réagi aussitôt. Avec un groupe d’amis, ils fondent une association qu’ils baptisent « Campagne pour la sauvegarde de la vallée de Bisri.» Ce projet de barrage n’est pas nouveau. Il remonte à plusieurs années. Mais en 2014, la Banque mondiale qui accorde un prêt au Liban pour le réaliser, accélère le processus.

Déterminés, Roland Nassour et ses amis entament la résistance. Nous sommes en 2017, et avec une énergie débordante, le groupe se lance dans le combat, rassemblant non seulement les habitants de la vallée, mais également des dizaines de Libanais venus d’autres régions. Les anti-barrages alertent les médias, organisent des sit-in, des marches de soutien, des manifestations pacifiques devant le ministère des travaux publics, ou devant le siège de la Banque mondiale, « Début 2019, raconte Roland Nassour, quand les promoteurs commencent à couper les premiers arbres. Nous avons multiplié les actions, et lancé une pétition qui a rassemblé près de 150 000 signatures. »

De la prise de conscience régionale, l’affaire de la vallée de Bisri s’étend à tout le pays, « même la diaspora Libanaise se sentait concernée. » s’enthousiasme Rolland Nassour.  

Les intimidations, les arrestations, ou les mises en examens n’arrêtent pas le groupe. En 2020 devant une telle résistance, la banque mondiale jette l’éponge. Le prêt n’est pas accordé, la vallée et ses sites sont sauvés.

Dans son mémoire de master qu’il soutient à l’université américaine de Beyrouth quelques mois plus tard, Roland Nassour raconte toute l’histoire de la campagne. Lucide l’équipe reste tout de même sur ses gardes. « La crise économique actuelle que traverse notre pays a sans doute découragé la Banque mondiale » … Mais le projet n’a pas été enterrévsuspecte l’urbaniste, qui conclut : « Fort de notre expérience, structurés et soutenus comme nous le sommes, nous sommes prêts à faire face. »

Luc BALBONT

(*) A lire également dans le "Monde de la Bible" N 239 de décembre 2021, correspondance Liban