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Avec Cheikh Salim, du dialogue théologique au dialogue de vie

Bhabouch, village du nord Liban, est l’un des derniers vestiges de la « fameuse convivialité islamo-chrétienne libanaise». Si cette fraternité de la « Croix et du Croissant » existait avant la guerre civile de 1975 comme le prétendent beaucoup de Libanais, ce n’est plus le cas. Les communes où se côtoyaient chrétiens et musulmans, ont disparu dans les violences de ces trente-cinq dernières années, sauf quelques-unes dont Bhabouch.

Chaque fois que je passe à Bhabouch, au nord Liban, je visite Cheikh Salim. Dans ce bourg de 400 âmes où cohabitent deux tiers de chrétiens pour un tiers de musulman chiite, l’église et la mosquée se font presque face. Une convivialité due à la solidarité villageoise, qui dans les périodes de guerre civile, entre 1975 et 1990, a joué un rôle majeur, pour contrecarrer les interventions extérieures, visant à dresser les deux communautés l’une contre l’autre. Cheikh Hussein Salim est l’imam de ce village.

Cheikh Hussein Salim est est né en 1968. Il habite la maison familiale, celle où ses parents ont vécu. Une demeure de plein pied toute simple au cœur du village, avec sa femme et ses quatre enfants. Nous nous connaissons lui et moi depuis des années. Et nous avons toujours un réel plaisir à nous retrouver autour d’une tasse de café, que prépare son épouse, revêtue du traditionnel tchador noir des femmes chiites, heureuse de recevoir l’ami français de son mari.

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Hussein a fait ses études en Iran, à l’université de Qom, la référence absolue pour l’islam chiite (*). Comme à chacune de nos rencontres, il me provoque sur mes convictions laïques. Et s’il admet volontiers « que la séparation entre l’Eglise et l’État est nécessaire en Occident » c’est pour aussitôt souligner que « tel n’est pas le cas dans les pays musulmans, car contrairement à la Bible et à l’Evangile, le Coran est tout à fait apte, selon lui, à régenter avec efficacité la vie quotidienne des hommes. » Je conteste. Il sourit. La discussion est partie.

Hussein Salim a étudié les textes chrétiens. Il a lu attentivement l’Ancien et le Nouveau Testament. Et s’il est tout à fait capable de citer des passages des Évangiles de Matthieu, Luc ou Jean, voire des versets du Deutéronome, c’est pour mieux en relever, dit-il, « les incohérences. »

Ainsi il est persuadé que dans l’Ancien Testament, « Dieu annonce à Moïse (Moussa) la venue du Prophète Mahomet, et que dans l’Évangile de Jean, Jésus avoue qu’il n’est pas le fils de Dieu. » Il m’interroge : « Pourquoi les juifs et les chrétiens refusent-ils la vérité ? » Et poursuit : « Dans vos quatre Évangiles, vos apôtres ne cessent de se contredire. Dans le Coran tout est clair, il n’y a aucune contradiction. J’ai souvent demandé des explications, mais aucun chrétien n’a pu me répondre clairement. Les lectures des textes juifs et chrétiens m’ont convaincu que l’islam était vraiment la religion parfaite. »

À sa certitude, j’oppose mes arguments : la tolérance chrétienne, le pardon, une condition féminine plus enviable. Hussein réfute tout. Et si mon ami croit pourtant que le dialogue islamo-chrétien est théologiquement possible, il conçoit celui-ci comme une bataille, qu’il attend de pied ferme : « Si tu parviens à me convaincre que je fais fausse route et que ta religion est meilleure que l’islam, je suis prêt à me convertir et à devenir Nazaréen (le nom qu’il donne aux chrétiens) », mais ajoute-t-il en riant, « je n’ai aucune crainte. »

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Un dialogue de sourds. Mieux vaut quitter le domaine théologique, et de s’étendre sur le quotidien. Le reste de la visite sera l’occasion de parler de la guerre syrienne, du terrorisme, de la crise économique qui frappe plus durement les pauvres au Liban, des malades qui ne peuvent pas se soigner, de la corruption des dirigeants, de la montée du chômage qui oblige les jeunes à s’exiler, des frais de scolarité de plus en plus élevés pour les familles. Sur ces points Cheikh Salim et moi sommes tout à fait d’accord. Nous nous quittons en nous promettant de nous revoir le plus tôt possible.

A peine sorti de chez Hussein, je rencontre l’ancien maire, Assad Khoury, un chrétien, qui m’assure « que chrétiens et musulmans vivent ensemble depuis 300 ans à Bhabouch. Dans mon entreprise, me dit-il, j’emploie des musulmans. » Pourtant quand je lui demande s’il existe des couples islamo-chrétiens dans son village, il répond : « Non ! Parce que c’est interdit religieusement. »

A Bhabouch, pour ne pas rompre l’harmonie, les habitants savent qu’il y a des bornes à ne pas franchir. Et si les communautés cohabitent, la citoyenneté devra encore attendre.

Luc Balbont