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« C’est ici que j’habite »
Située à 40 km au nord de Beyrouth, sur les bords de la Méditerranée, qui connait Batroun, ancien port phénicien de 40 000 âmes, coincé entre Jbail la chrétienne et Tripoli la sunnite ? C’est ici que j’habite depuis plus de vingt ans.
Batroun ne défraye pas les chroniques, ne remplit jamais les premières pages des journaux. Elle incarne seulement ce pays que j’aime, le Liban de la douceur et de la convivialité. A quoi bon s’étendre sur le bonheur, sur la sérénité, la tranquillité ? Les prophètes qui chaque semaine prédisent une nouvelle guerre civile au Liban, importée de la Syrie si proche, en sont pour leur frais. A Batroun, pas d’attentat, pas de violence, pas de bruit de canons, juste le doux roulement des vagues, les voix des chanteuses orientales qui montent des maisons, les cris joyeux des enfants qui sortent des écoles.
Au port, les pêcheurs déchargent leurs cargaisons du jour. Dans le vieux souk millénaire, les échoppes regorgent de légumes frais. Sur le front de mer, des adolescents remontent de la baignade. Torses nus pour les garçons, maillots deux pièces pour les filles, dans un brouhaha joyeux. Face à ces scènes de plage, sur le trottoir, devant la mosquée de la ville, des femmes voilées de la tête au pied sortent de la salle de prière, tandis que leurs hommes en djellabas chargent des matelas sur les galeries de leurs voitures : Des réfugiés syriens, chaque jour plus nombreux depuis le déclenchement du soulèvement contre le régime de Damas en mars 2011. A Batroun, Bikinis et corps voilés cohabitent sans heurts.
A deux pas de là, Khalil Jamil, le vieux commerçant sunnite prend son café avec Joseph l’épicier maronite, son voisin. Voilà plus de soixante ans que leurs deux familles cohabitent, s’invitent aux mariages de leurs enfants, pleurent les disparitions d’amis communs dans les mêmes cérémonies de deuil.
[caption id="attachment_34" align="alignleft" width="300"] A Kfifane (nord Liban) pres de Batroun la mosquée fait face à l'Eglise[/caption]
Derrière la mosquée, se dresse la croix du lycée des sœurs maronites de la Sainte famille. Tous les enfants de Bassam, le boucher chiite ont appris à lire dans cette école chrétienne. Aujourd’hui Hassan, l’aîné est médecin, Houda sa sœur cadette avocate, et Khaled le cadet termine des études d’océanographie en France. A Batroun, l’Église a toujours fait face à la mosquée. Dans les années 1980 pourtant, en pleine guerre civile, des miliciens chrétiens des Forces libanaises avaient détruit le minaret. « Le voisinage, en majorité des familles chrétiennes s’étaient alors ligués, pour les empêcher de continuer leur sale besogne », se souvient Bassam.
[caption id="attachment_35" align="alignright" width="300"] Chez Tony le restaurant au bord de la mer[/caption]
Le soir les cafés et les restaurants sont bondés, les boites de nuits accueillent les danseurs. Les Libanais aiment faire la fête. Chez Tony, on déguste le poisson grillé, le taboulé au persil haché, et le chiche taouk (poulet à l’ail) en contemplant, au sud, les lumières de Jbail, la Byblos antique où fut inventé l’alphabet, assurent les habitants de la ville. Parfois pourtant un bruit de canonnade provient du nord, de Tripoli. Là-bas, à 15 km de Batroun, les habitants des quartiers musulmans, chiites et sunnites, se font la guerre et s’entretuent. Un rappel que la Syrie voisine traverse une terrible guerre civile. « Les syriens connaissent ce que le Liban a vécu entre 1975 et 1990. Comme nous, ils s’en sortiront et leur vie continuera. Mieux qu’avant peut-être mais ça demandera du temps » prophétise Tony, entre deux clients … Aujourd’hui, à Batroun, l’église fait encore face à la mosquée et la vie continue.