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Ces musulmans « apôtres » du dialogue islamo-chrétien

Le constat est plutôt rassurant. Au Liban, pays où les chrétiens et les musulmans sont partagés en dix-sept confessions (*1), vivant le plus souvent repliés sur leurs communautés, et souvent dans l’ignorance, voire le mépris de l’autre, les espaces de rencontres et de dialogues captent peu à peu les intérêts.

Si jusqu'à présent, les initiatives de rapprochement entre les deux religions émanaient le plus souvent du monde chrétien, depuis quelque temps, on voit apparaître dans les débats publics, des personnalités musulmanes qui prônent le dialogue. Non plus dans une volonté de démontrer la supériorité de l’islam sur le christianisme, mais dans une démarche de connaissance de l'autre religion. Parmi les raisons du changement, la montée de la barbarie des groupes jihadistes, dont la cruauté menace les chrétiens comme les musulmans. Un danger qui a fait réellement prendre conscience que le combat était commun.

Le terrorisme fédère les Libanais. Si la demande d'une citoyenneté commune n’est pas nouvelle au Pays du cèdre, elle s’étend, et particulièrement chez les intellectuels et les penseurs musulmans. En 1998, le sociologue Ahmad Beydoun (d’origine chiite) à qui je demandais de commenter le texte de l’exhortation apostolique (*2), publiée à l’occasion du voyage du pape Jean-Paul II au Liban en mai 1997, m’avait confié qu’il fallait « favoriser les initiatives islamo-chrétiennes, notamment dans l'éducation, et développer le sentiment de citoyenneté au détriment de l’esprit clanique »
Depuis l’idée de société civile a fait son chemin.

  • En 2010 Mohammad Sammak, représentant, à l'époque, du Grand mufti sunnite du Liban, affirmait que pour «vivre son arabité, il avait besoin des chrétiens» (*3).
  • En écho, Séoud al Maoula, le sociologue chiite lui répondait que «sans les chrétiens, le Liban n’aurait plus de sens.»
  • Parmi ces réformateurs musulmans, Waddah Charara (en photo ci-dessus) tient une place particulière. Chiite, né en 1942 dans un village du sud Liban, Waddah Charara a reçu par son grand-père une éducation religieuse. Il a même failli devenir Imam. La découverte vers 17 ans de la langue, de la littérature française et des philosophes des lumières « l’a ramené, dit-il, sur une voie plus rationnelle ». Charara est « une pointure intellectuelle ». Journaliste au quotidien arabophone Al Hayat, historien, sociologue, il a longtemps enseigné à l’université libanaise. Ses articles, ses livres, dont celui qu’il a écrit sur le Hezbollah (*4), le parti religieux chiite pro-iranien qu’il qualifie « d’État dans l’État », font références.

Dans ses débats, ses conférences, ses interventions télévisées, ce fin penseur s’appuie sur une profonde connaissance historique des sociétés arabes. Et notamment de la religion chrétienne. Waddah Charara encourage toutes les initiatives de rencontres interreligieuses. Il définit le dialogue islamo-chrétien comme « le conflit assumé » qui permet aux hommes de reconnaître et d’accepter les différences qui les opposent, pour mieux les dépasser. « Chaque fois, dit-il, que l’on a refusé de se parler, de mettre sur la table les violences anciennes, d’éclairer l’histoire, le dialogue a échoué et la guerre a repris. »

Waddah Charara parle de la spécificité chrétienne comme étant unique au Moyen-Orient. « Dans ce monde arabo-musulman, où il faut être fort pour mériter le respect, remarque-t-il, le christianisme relève au contraire de la fraternité, de l’égalité et de la compassion. Il valorise la force de la faiblesse. ... Une faiblesse difficilement admise dans le monde arabe, où l’arme reste encore le symbole du pouvoir.


Références :

(*1) 13 chrétiennes et 4 musulmanes-
(*2) La Croix 7 janvier 1998
(*3) Synode des chrétiens orientaux à Rome (10-24 octobre 2010)
(*4) Editions An Nahar, 1996, non traduit en français

Lire le texte de l’exhortation apostolique du pape Jean Paul II en 1997