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Le discours de fermeté de Mgr Ignace Joseph III Younan, patriarche de l’Eglise syriaque-catholique
« L’élimination de l’État islamique doit rester la priorité »
Sa famille a fui la Turquie en 1915, chassée par les massacres de l’empire ottoman contre les chrétiens, pour se réfugier à Hassaké, un gros bourg de l’est de la Syrie, non loin de la frontière irakienne.
C’est là que Ephrem Joseph Younan, élu Patriarche de l’Église syriaque catholique en janvier 2009 sous le nom de Ignace Joseph III Younan, est né le 15 novembre 1944 :
« Lorsque les miens s’y sont installés, Hassaké n’était qu’un village habité par des tribus bédouines, des musulmans très modérés. Il y avait peu de mosquées dans la région. Entre nous, les contacts étaient très cordiaux. Aujourd’hui, la richesse pétrolière du Golfe a transformé bien des choses. Dans les années 1950, Hassaké comptait 2/3 de chrétiens, pour 1/3 de musulmans. Avant la révolution de 2011, la ville ne comptait plus qu’un tiers de chrétiens et depuis mars 2011, 66% des chrétiens restant ont déjà émigré. »
Aujourd’hui, Mgr Hindo, est le seul évêque syriaque-catholique qui vit encore à Hassaké, assiégée par les groupes armés islamistes qui occupent les alentours.
Si la province, trois fois plus grande que le Liban (*1), est en partie tombé entre les mains des extrémistes musulmans, la capitale, Hassaké, reste pour le moment, sous la protection de l’armée syrienne et des peshmergas kurdes. Mais les familles chrétiennes encore résidentes, vivent dans une angoisse permanente.
Les attentats de Paris du 13 novembre dernier - 129 morts et 352 blessés - sont venus rappeler que « la guerre contre l’État islamique ne souffrait d’aucune faille » : C’était déjà l’avis de sa Béatitude, lorsqu’il m’avait reçu au printemps 2012, alors que la guerre dans son pays natal n’avait pas atteint le degré d’horreur (*2), qu’elle connait aujourd’hui. A l’époque, Mgr Joseph III Younan s’interrogeait sur l’attitude des pays occidentaux, et notamment de la France, plus prompte à demander le départ de la famille Assad, au pouvoir depuis 1971, que d’agir pour chasser les islamistes, dont l’influence ne cessait de grandir : « Je ne comprends pas la position de la France sur la Syrie, me répétait sa Béatitude. Il faut sans doute des réformes en Syrie, mais occupons-nous d’abord des extrémistes musulmans. Ils incarnent le vrai danger. »
Trois ans ont passé, les évènements se sont précipités. La situation s’est aggravée. En Syrie, Raqqa est tombée, puis la plaine de Ninive en Irak, prise en août 2014 par l’État islamique. Entre les deux pays un Califat a été instauré. En cette fin d’année 2015, le discours de Mgr Younan qui m’accueille au monastère de Charfet, près de Beyrouth n’a pas divergé. Et les récents attentats de Paris confortent sa vision.
« Le dogme islamique est impropre au dialogue puisqu’il n’accepte aucune remise en question. Le dialogue, affirme Mgr Younan, se noue d’abord entre des personnes, c’est un face à face humain qui se construit entre des gens qui habitent le même pays, la même province, la même ville, et plus encore le même quartier et la même rue. Des hommes, des femmes et des familles qui partagent un quotidien commun. Les religions sont bâties sur des dogmes, et les dogmes restent fermés au dialogue. »
Mgr Younan stigmatise les erreurs de l’Occident, loin des réalités orientales, et des problèmes rencontrés par les minorités chrétiennes qui y vivent.
« En Occident, j’entends souvent à propos de l’islamisme : Laissons faire, c’est une question de culture, cela évoluera” Quelle erreur ! L’islamisme n’est pas une culture, c’est un acte de foi, une croyance, un dogme. L’Europe doit comprendre la différence qui existe entre culture et dogme. ”
La naïveté du monde extérieur navre Mgr Younan. « Rester pour témoigner, nous disent les Européens. Les chrétiens ne demanderaient pas mieux, que de faire entendre les mots de l’Évangile, mais faut-il encore le pouvoir. En pays musulmans, on nous interdit de témoigner. Et ceux qui s’y risquent sont emprisonnés, ou tués. »
Mgr Younan pose un constat dérangeant en soulignant qu’aucune fatwa (ndlr : édit religieux des autorités musulmanes) n’a été officiellement émise contre les émirs de l’État islamique, coupables de crime. « Ce qui m’étonne, constate Sa Béatitude, c’est de ne pas entendre les autorités officielles sunnites condamner fermement ces assassinats. Certes, des individualités dénoncent, à titre personnelle, les responsables de l’EI, mais pour les autorités, ces barbares, même fautifs, restent des musulmans. Ils ne sont pas exclus de la communauté. »
Pour Mgr Younan, l’État islamique est un cancer universel, composé de barbares qui assassinent tous ceux qui s’opposent à leur vision du monde : musulmans, chrétiens, croyants ou non, sans distinction. « Il faut que la communauté internationale se fédère au plus vite pour éliminer ce fléau. Et que les pays cessent de se diviser pour préserver leurs intérêts nationaux. L’élimination de l’État islamique doit rester la priorité.»
Recueillis par Luc Balbont
(*1) Le Liban a une superficie de 10400 km2
(*2) La guerre civile en Syrie a débuté le 15 mars 2011