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Étienne Lepicard « Ma vie à Jérusalem »
Trente-quatre ans bientôt que ce médecin a quitté Paris pour construire sa vie à Jérusalem, installé depuis 1986, à 4 km au sud de la ville trois fois sainte, à Ein Kerem, le village où, selon la tradition chrétienne, Marie enceinte de Jésus rendit visite à sa cousine Elisabeth, future mère de Jean-Baptiste. Titulaire d’un doctorat en histoire de la médecine soutenu à l’Université hébraïque de Jérusalem, le docteur Lepicard, 62 ans, représente aujourd’hui la sensibilité chrétienne au sein du Comité national israélien de bioéthique.
Ce n’est pas un hasard, si cet intellectuel chrétien, également cofondateur de « Beit Hagat/la Maison du Pressoir», centre de rencontres interreligieuses et artistique, a choisi Jérusalem, pour y poursuivre son travail d’enseignant- chercheur et sa quête spirituelle. Au début de ses années de médecine, il suit un stage d’aide-soignant à l’Hôpital français de Nazareth, immergé dans la société arabe, et passe ses congés chez un ami, professeur d’exégèse à Jérusalem, au cœur du monde juif. Fasciné par ce pays aux multiples facettes, si diffèrent du monde occidental et de son cartésianisme, il porte sa recherche de thésard sur des questions d’éthique médicale selon la tradition juive. « Ce qui m’intéressait, explique-t-il, c’était de comprendre comment une autre tradition religieuse que la mienne, se référant pourtant à la même source biblique, articulait sa propre réponse éthique sur des questions contemporaines : contraception, avortement, euthanasie etc. Cette thèse fut primée et j’ai souhaité tenter l’aventure dans le pays et apprendre l’hébreu.»
Connaitre l’hébreu était aussi l’occasion de réaliser un rêve d’adolescent : lire les psaumes dans la langue où ils avaient été conçus. Une littérature pleine de vie, qui le faisait entrer dans un monde poétique, rempli d’histoires et d’images. « L’hébreu est une langue concrète, très vivante, tout comme l’arabe d’ailleurs. Les idées et les concepts naissent de la richesse des métaphores. La tradition juive, poursuit-il, est pleine de récits qui frappent les esprits et permettent la transmission. L’hébreu m’a ouvert sur ce monde. »
Si dès 1987, le jeune médecin récite les psaumes « dans la langue même où le Christ les avait médités », il peut aussi prier en hébreu au sein du vicariat Saint Jacques (*1), une juridiction qui regroupe les catholiques de langue hébraïque, rattachée au Patriarcat latin de Jérusalem. Cette petite communauté se compose aujourd’hui de fidèles de toutes origines : chrétiens libanais de l’ancienne armée du Liban-sud, chrétiens de Russie et d’Ukraine venus dans le pays dans les années 1990, car ils avaient un grand-père juif, quelques Israéliens aussi, et puis des Africains ou des Asiatiques, illégaux ou travailleurs immigrés dont les enfants sont dans le réseau scolaire israélien. « Ce qui nous réunit, confie le docteur Lepicard, c’est finalement ce désir de transmettre notre foi à nos enfants qui, eux, bien souvent ne parlent que l’hébreu. » Chrétiens judaïsant donc ? Il rectifie : « l’expression n’est pas juste. Je lui préfère le terme de chrétiens de langue hébraïque. Nous serions judaïsant, si nous cherchions à imiter la tradition juive. Or la question n’est pas tant d’imiter le judaïsme que de ne pas escamoter la judaïté de Jésus.»
Proche du monastère bénédictin d’Abou Gosh, Étienne Lepicard partage son temps entre ses recherches médicales et le développement de Beit hagat, la maison qu’il anime à Jérusalem.
En éthique, il poursuit son travail selon un axe historique, en s’interrogeant notamment « sur la place de la Shoah dans la société contemporaine, recentrée sur le dialogue entre les deux traditions religieuses, christianisme et judaïsme.»
À Beit hagat, la maison du Pressoir, nom donné à l’ancienne huilerie du couvent des sœurs de Notre Dame de Sion voisin, où créent une douzaine d’artistes israéliens: « il s’agit, dit-il, de s’accueillir dans nos traditions différentes autour d’un lieu de rencontre, qui peut prendre la forme d’une prière ou d’une création commune. En un mot, précise-t-il l’écoute avant les idéologies. »
Luc Balbont
(*1) Fondé en 1955
On retrouvera Étienne Lepicard dans le prochain bulletin de l’Œuvre d’Orient – N°799 de mai- juin 2020 – A lire « L’Homme, cet inconnu d’Alexis Carrel (1935). Anatomie d’un succès, analyse d’un échec » d’Etienne Lepicard, Coll. « Littérature, Histoire, Politique », Classiques Garnier, Paris, 2019, 511p, € 58,00.