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EVELYNE ACCAD, Un combat pour les femmes d’Orient
J’aime cette photo que vient de m’envoyer l’écrivaine libanaise Evelyne Accad.
Son visage se fond discrètement entre deux femmes. Une guitare complète ce tableau de figures radieuses. A droite, une jeune fille voilée se penche vers son amie à la longue chevelure, brune et bouclée. Tout sourire, Evelyne, au centre, enlace ses deux compagnes par les épaules. Regards de femmes qui jouent la même partition, celle du bonheur et de la liberté. L’ensemble évoque pour moi un Orient serein et tolérant, où la joie de partager un moment heureux se mêle à une spiritualité invisible mais toujours présente.
La photo a été prise à Beyrouth, à la « Maison de la Tendresse », « Beit el Hanane » en arabe. Un grand « nid » de paix qui accueille, soigne et reconstruit des femmes à la vie chaotique. Le lieu, une première au Liban, a ouvert ses portes il y a cinq ans, grâce à l’opiniâtreté de Jacqueline Hajjar. Evelyne, sa sœur est venue aussitôt l’épauler.
La lutte pour le droit des femmes a toujours été un souci constant pour Eveyne Accad. Ainsi, c’est pour éviter un mariage arrangé qu’elle fuit son Liban natal pour les États-Unis en 1963. Elle a 20 ans, et ne connait personne en Amérique. Elle va très vite s'acclimater. Après de brillantes études de lettres, elle finit par enseigner. Professeur émérite de littérature arabe et africaine d’expression française à l’Université Urbana-Champaign, dans l’Illinois, elle fait connaître à ses étudiants les œuvres du dramaturge Algérien Nourredine Abba, les romans d’Andrée Chédid, l’Egyptienne ou ceux d’Assia Djebar, la première Maghrébine reçue à l’Académie française. Elle traduit, compose aussi de la musique. Outre-Atlantique, elle occupe une place enviée, mais le Liban lui manque « J’ai pour mon pays les attentions d’une mère pour son enfant malade. Le Liban ne se porte pas bien. Il est violent, clanique, machiste, mais il a aussi un potentiel énorme, une richesse humaine que la diaspora a le devoir d’aider. Ce Liban peut-devenir une lumière, un exemple de convivialité et de paix. Je l’aime, et je ne pourrai pas vivre ailleurs». « Beit el Hanane » pour Evelyne c’est l‘occasion de s’engager physiquement : « Une mission concrète qui prolongeait, dit-elle, mon travail d’écrivain (*1) ».
Pour l’heure « Beit el Hanane » accueille 18 femmes. Des Soudanaises, des Sri Lankaises, des Philippines… Domestiques, petites mains exploitées, sous payées, taillables et corvéables sept jours sur sept. Evelyne cite le cas de cette Ethiopienne qui durant des années travaillait 15 heures par jour, dimanche compris (pour 350 euros par mois), et qui la nuit dormait sur le balcon de l’appartement de ses patrons ; Une autre était battue par la femme qui l’employait. Des jeunes villageoises libanaises, natives de régions sous-développées, violentées par un mari, plus âgé dont elle ne voulait pas, ou servant d’esclave à une belle famille brutale viennent également trouver refuge dans la « Maison de la tendresse », amenées par un médecin, une amie, une connaissance. « Dans les pays arabes, les femmes ont encore peu de droits. Elles doivent se battre pour exister » déplore Evelyne
A « Beit el Hanane » l’atmosphère est apaisante, malgré les difficultés quotidiennes à affronter.
Boucler les fins de mois tient souvent du miracle. « Ma sœur est une chrétienne fervente, confie Evelyne. Sa foi lui fait surmonter des difficultés que je pensais insurmontables. Je constate. Je m’interroge. Il m‘arrive alors de douter de la raison. »
Luc Balbont
https://beitelhanane.wordpress.com
(1*) Dans ses livres, Evelyne Accad décrit souvent la dure condition des femmes. A lire notamment « L’Excisée » paru chez l’Harmattan, dans la collection« Écritures arabes » et « Femmes du crépuscule », chez le même éditeur