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EXPLOSION DE BEYROUTH

La solidarité, seule arme des Libanais pour reconstruire leur capitale

Un mauvais sort s’acharne décidément sur le Liban. Le mardi 4 août dernier, à 18 heures passées de quelques minutes une gigantesque déflagration entendue selon des témoins jusque sur l’île de Chypre souffle en quelques secondes le port de la capitale libanaise, emportant dans un nuage de fumée semblable à un champignon atomique, les quartiers chrétiens de la ville. Spectacle hallucinant, rues dévastées, buildings écroulés, scènes déchirantes où se mêlent l’effroi et la douleur des survivants et des blessés. Le bilan est monstrueux : 180 morts au moins, 6500 blessés, près de 300 000 sans-abris, écoles et hôpitaux détruits… plus de 3 milliards de dollars de dégâts.

Outre la colline d’Achrafieh d’autres secteurs ont également été soufflés : Mar Mikhaël, Saïfi, Borj Hammoud et surtout  Gemmayzé l’un des plus beaux quartiers de Beyrouth, doté d’un patrimoine exceptionnel : « Nous sommes pourtant habitués aux explosions, mais même au plus fort de la guerre civile (1975-1990), je n’avais jamais entendu une déflagration d’une telle force, » s’émeut Fady Noun, journaliste au quotidien francophone «L’Orient-Le jour».

Frappé depuis bientôt un an par la plus grave crise monétaire de son histoire, un chômage endémique (60% de sans emploi), une pauvreté galopante (un Libanais sur 2 vit aujourd’hui dans la précarité), la pandémie du Covid-19, la colère permanente de la population contre une classe politique corrompue et un système confessionnel anachronique teinté de clientélisme, le Liban n’avait vraiment pas besoin de ce drame supplémentaire.

Pourra-t-il s’en remettre, et repartir une fois de plus encore ? «La solidarité est la seule arme efficace que nous ayons pour rebondir, » affirme René Salem, professeur d’histoire au Collège mariste de Jbeil, et coordonnateur de la pastorale de cet établissement chrétien. Deux jours seulement après le séisme, René formait avec des scouts et des guides de sa région des équipes chargées de nettoyer la ville, jonchée de détritus et de montagnes de morceaux de verre. En quelques jours, grâce aux jeunes descendus de tous les diocèses du pays, au grand étonnement des pompiers français envoyés par Paris en renfort, tout était net. Seules les carcasses de voitures et des immeubles détruits par le feu et le souffle de l’explosion témoignaient de la catastrophe, mais les rues étaient débarrassées des déchets. « Et tout ça, sans L’État, » constate le jeune professeur.

Évêque de Batroun (Liban nord), Mgr Mounir Khairallah enfonce le clou « Dans ce pays, depuis l’indépendance, il n’y a jamais eu d’état.» Dans  son journal qu’il tient quotidiennement, et qu’il envoie régulièrement à ses amis, le P. Mounir raconte comment il a rassemblé en 24 heures une centaine de jeunes de son diocèse pour effectuer les premiers travaux de déblaiement à Beyrouth. « Ici, les citoyens ne peuvent compter que sur eux-mêmes, ajoute-t-il, les liens familiaux et claniques remplacent un État transparent. Pour la reconstruction de sa maison, un chef de famille ne se tournera jamais vers les pouvoirs publics, mais vers ses proches. Dans les villages, les paroisses et les religieux sont très sollicités. »

Et de fait, au nord, à Rachana, un petit village escarpé d’une quarantaine de maisons, le Père Raymond Bassil a, dès le 5 août, convoqué son comité de solidarité pour mettre sur pied, avec des associations locales, des mesures d’urgence : dons de sang et quêtes de vêtements et de médicaments. « J’ai aussi ouvert la maison paroissiale et le presbytère de l’église pour accueillir des rescapés. »

.Au sud du pays, non loin de Saïda, Sœur Maryam an Nour, la carmélite directrice du collège de Machref – plus de 700 élèves, dont une majorité de musulmans- a incité l’ensemble des jeunes de son établissement à rejoindre les équipes de secours. « Dans les conditions actuelles, la rentrée scolaire, prévue début septembre, n’aura sans doute pas lieu, prédit la religieuse. Plus d’une centaine d’écoles ont déjà fait savoir qu’elles ne pourraient pas accueillir leurs élèves. En attendant, autant initier nos jeunes à la solidarité, car au Liban, de près ou de loin, chacun de nous est touché par le drame. J’ai déjà fait savoir à Beyrouth que notre couvent était ouvert à tous ceux qui n’avaient plus de toit, chrétiens comme musulmans sans distinction. » … Des paroles et des actes qui rendent la communauté chrétienne indispensable au Liban… Parce que sans elle ce pays n’aurait plus de sens.

 Luc Balbont

A lire également le tiré à part de quatre pages sur la catastrophe qui a ravagé Beyrouth le 4 août dernier dans le N° 800 du bulletin de l’Œuvre d’Orient à paraître en septembre prochain.