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Liban : revisiter l’Histoire pour construire la Paix

Cette guerre civile qui frappe la Syrie depuis mars 2011, le Liban, son voisin, l’a vécu durant quinze ans (1975-1990). Un conflit terrible, 250 000 morts, pour la plupart des victimes civiles et des milliers de déplacés, dont certains ne peuvent toujours pas retourner dans leur village d’origine.  Dans les familles la douleur persiste et les blessures encore vives.

C’est le cas de la famille Eid. Chez eux, à Edbel, un village du Akkar, au nord du pays,  le drame a frappé une nuit d’hiver. Le 9 décembre 1980, un commando armé du Parti Populaire syrien (PPS), milice progressiste alliée du Fatah palestinien, actif à l'époque au Liban, fait irruption dans la maison. Âgé de 10 ans, De Gaulle Eid assiste à l’exécution de Zeidan son père, de Souad sa mère, de Siham sa sœur de 14 ans, et de onze membres de sa famille.

De Gaulle, son frère, ainsi que sa sœur aînée s'en sortent  par miracle. Quelques années plus tard, il  quitte le Liban pour la France. Il a 20 ans.

En France, il se reconstruit. Études solides de littérature et de cinéma, il devient réalisateur. Mais le drame de Edbel le hante, l’obsède à jamais. Ses proches ont beau l’inciter à oublier et profiter d’une vie sereine en Corse, où il s’est installé, ses nuits restent blanches. « Il fallait que je revisite l’histoire, je devais savoir pourquoi mes parents et ma sœur avaient été assassinés. » confie le cinéaste. Si une partie de sa famille adhère à la pensée Kataeb, son père et sa mère n’ont rien à voir avec l’idéologie chrétienne identitaire de cette milice. Zeidan le père, militaire se bat au sein de l’armée nationale pour construire un Liban libanais, « admirateur du Général De Gaulle, d’où mon prénom, il se définissait spirituellement chrétien mais restait Libanais avant tout, » précise De Gaulle

En France, chaque jour De Gaulle écrit son drame sur un cahier. Il doit savoir pour faire la paix en lui. Il attendra dix-huit ans, jusqu’ en 2008, pour partir au Liban, mettre son scénario en images. « Chou Sar ?» (Que s’est-il passé ?), titre de son film sera tourné en un mois et demi , avec une équipe de 12 techniciens. Une période durant laquelle, De Gaulle Eid retrouve les acteurs du drame pour les faire parler devant sa caméra. Des paroles… et des silences poignants, qui en disent tellement plus. Des images d’une force incroyable. La dernière scène est inoubliable. De Gaulle monte à Edbel, le village de son enfance. «  Je n’y avais jamais remis les pieds depuis l’assassinat de mes parents. J’avais une trouille incroyable, mes jambes tremblaient. J'avais la gorge nouée. » La maison familiale est en ruines. Il se recueille sur la tombe abandonnée de ses parents. Puis dans un effort surhumain, il s’en va vers la place du village, où enfant il se faisait insulter par les partisans du Parti adverse, il y retrouve un vieil homme aux cheveux blancs, au visage ridé. Il lui fait face. "Tu me reconnais ?" Lui demande-t-il … Silence, attente …  « Moi si, je te connais. C’est toi qui a tué ma mère. » Le film se termine sur le visage inquiet du vieil homme.

De Gaule est revenu en France. Il ne remettra plus jamais les pieds à Edbel. Délivré, il sait désormais  que ses parents ont payé pour les autres. « Dans cette France qui m’a accueilli, j’ai appris que l’éducation et la culture, sont des armes bien plus redoutables que les fusils.  Je n’ai pas envie de tuer pour me venger. Je cherche juste la vérité. Malgré les difficultés qu’il traverse, je persiste à croire en un Liban de paix, où les gens de toutes les communautés  pourront vivre et travailler ensemble. On a juste besoin de revisiter l’histoire pour savoir comment nous en sommes arrivés là, afin de ne plus retomber dans les mêmes drames. »

Pour le présent, son film, est censuré au Liban. Des pressions politiques l’ont interdit. Néanmoins, Chou Sar? a été vu dans des dizaine de  pays, lors de divers festivals à l’étranger, et plusieurs passages à la télé ont eu lieu. Le cinéaste se veut optimiste pour son pays natal. « Un jour la censure sera levée, et les jeunes pourront alors savoir ce qui s’est passé ». Au Liban, beaucoup de créateurs  travaillent dans cet objectif. Grâce à eux, aujourd’hui, alors que tout s’y prête, la guerre n’éclate pas au Pays du Cèdre.

Luc Balbont