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Gregorios III : La colère du patriarche grec-catholique

Ses 83 ans, qu’il a fêté le 13 décembre 2015, ne semblent pas peser sur sa personne. A la résidence de Raboué au Liban, qu’il partage avec son patriarcat à Damas, Grégorios III, Patriarche de l’Église Grecque-catholique (melkite) depuis le 29 novembre 2000, épuise ses collaborateurs. “ Il a trois idées à la minute, et j’ai du mal à le suivre dans les escaliers, ” se plaint un prêtre de son entourage, dans le salon d’attente.

Sa Béatitude apparaît enfin au bout d’un long couloir. Le pas est vif, la poignée de main ferme: “Je vous ai fait attendre. Excusez-moi, mais je devais recevoir une délégation de fidèles. “ Nous entrons dans son bureau. Il prend place. Derrière lui, une photo géante de Jérusalem, où il résida durant de nombreuses années. Une première question sur sa Syrie natale, et le Patriarche embraye. Il ne s’arrêtera plus. Sur un ton enflammé, il évoque le martyr de ce pays, où il a vu le jour dans la banlieue de Damas, en 1933. Un flot de paroles ininterrompues, qui expriment la compassion pour ce peuple victime et la colère envers les grandes puissances, qui refusent, selon lui, " de combattre L’État islamique avec les moyens qu’il faut, renvoyant dos à dos le régime en place et les combattants jihadistes." ...  “ On m’accuse en Occident de soutenir Bachar al Assad, poursuit-il, mais que les donneurs de leçons viennent sur place, pour se rendre compte de la terreur que nous impose les islamistes.

“ Tout le monde nous bombarde ”

SB Gregorios à son bureauJe ne m’angoisse pas seulement pour les chrétiens, mais pour toute la population syrienne. Les bombes tombent de partout. Les Américains, les Russes, les Anglais, les Français, les Turcs, et même Israël nous bombardent, comme ce fut le cas en décembre dernier pour éliminer un membre du Hezbollah, présent à Damas. Tout cela, disent-ils, pour nous débarrasser de Daech, et nous apporter la paix. Mais en attendant cette paix qui ne vient pas, ce sont des civils syriens qui sont tués. Des hommes, des femmes, des enfants qui meurent chaque jour par dizaines …

“ Je ne défends que la Syrie et les Syriens ”

Les grandes puissances nous reprochent de soutenir une dictature, mais ce n’est pas Bachar Al Assad l’ennemi, c’est Daech… Daech et ses légions d’étrangers, des Tchétchènes, des Jordaniens, des Tunisiens, des Saoudiens, et même des Européens qui viennent occuper nos terres. C’est d’eux qu’il faut nous débarrasser.

Le peuple syrien souffre le martyr. Bientôt cinq ans de guerre (*1), et le bilan est lourd : entre 250 000 et 300 000 morts, des milliers de blessés, de déplacés, d’orphelins, et l’Occident discute encore et toujours du départ d’Assad. Mais jamais de celui des terroristes. Ce sont pourtant eux qui chassent les chrétiens de leurs maisons, eux qui égorgent tous les Syriens qui osent les affronter. Combien de temps encore allons-nous devoir vivre sous le joug de ces sanguinaires ?

“ Quel avenir pour les Syriens ? ”

Les jeunes quittent la Syrie, émigrent, 20 000 écoles ont été détruites, ce ne sont pas seulement les hommes et les pierres qui sont pulvérisés mais l’âme de la Syrie. Il n’y a plus de relations humaines entre les hommes. Chacun se méfie de son voisin, de son entourage ; les familles sont disloquées, les hommes sont morts, ou ont émigré. Les femmes et les enfants sont abandonnés, vivent dans des ruines. Tout est disloqué. La Syrie est devenu un champ immense de pauvreté. Les Syriens, chrétiens comme musulmans, n’ont plus de valeurs, plus d’honneur. Ils se volent entre eux, ils se mentent. Avec quoi demain allons nous rebâtir notre pays ? Voilà la question qui me hante. Si les chrétiens sont menacés, l’islam l’est tout autant. Dans la guerre, l’homme vit sans Dieu. Les Syriens pourront-ils encore se regarder encore en face lorsque la guerre sera terminée ?

“ Laissez-nous ! N’intervenez pas !”

SB-Gregorios-à-son-bureauPour les minorités chrétiennes, vivre dans les pays arabes, majoritairement musulmans, n’a jamais été facile. Avec les musulmans, il y a toujours eu des hauts et des bas. Mais nous arrivions à négocier, à parvenir à une entente. Les musulmans dirigeaient, et nous avions nos églises, nos institutions, nos écoles. Avec l’arrivée des Américains en Irak en 2003, venus, eux aussi, apporter “la démocratie”, le sort des chrétiens, considérés par les musulmans comme des alliés des États-Unis, a empiré. Les chrétiens sont chassés de partout. Que l’Occident nous laisse nous arranger entre nous, qu’il laisse les Syriens décider eux-mêmes de leur avenir. N’intervenez pas dans nos affaires. Vos avions et votre diplomatie sont en train de nous détruire.”

“Je dois aider tous les Syriens…”

A Damas, siège de mon patriarcat, j’essaie de maintenir l’espérance. En décembre dernier, L’Unicef m’a alloué une aide annuelle de 50 000 dollars. Avec cette somme, j’ai pu soutenir de nombreuses familles, chrétiennes comme musulmanes. Je dois aider tous les Syriens, peu importe leur religion. Il faut préparer l’après guerre, et retrouver l’envie de reconstruire la Syrie ensemble.

Propos recueillis par Luc Balbont


(*) En Syrie la révolution a commencé le 15 mars 2011, à Deraa, au sud, et a peu gagné l’ensemble du pays.

Luc Balbont