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Irak : 2000 ans d’histoire perdus en 30 minutes
Paris, aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, ce lundi 27 octobre.
Huit familles irakiennes de la plaine de Ninive sont attendues au terminal C, des chrétiens syriaques catholiques, tous natifs de Qarraqosh. Leur venue en France a été préparée par Noël Harbot, fonctionnaire en Irak dans les années 80, qui a fui la dictature, pour gagner la France en 1995. Intellectuel polyglotte, diplomate, Noël a toujours eu le souci de sa communauté et de Qarraqosh, où il a vu le jour, voici plus de 60 ans. C’est en 1997, à Amman, capitale du royaume jordanien, où il travaillait à l’ambassade de France, que nous nous sommes connus. De là s’est forgée une amitié, renforcée au fil des années, par des séjours communs en Jordanie et en Irak, où Noël a pu retourner à partir de 2003, après la chute de Saddam Hussein.
De Nantes où il habite aujourd’hui, mon ami m’avait prévenu de l’arrivée de ces réfugiés, et invité à venir le rejoindre pour accueillir ces familles, chassées récemment de leurs maisons par l’offensive armée des djihadistes de l’Etat islamique.
[caption id="attachment_118" align="alignleft" width="225"] Rafet (à droite) son frère et ses enfants à l'aéroport de Roissy le 27 octobre dernier[/caption]
Parmi ceux qui les attendent ce lundi, Rafet se trouvait à Qarraqosh, le jour du drame, le 6 août 2014 : une date à jamais gravée pour ce jeune père de famille de 35 ans, en France depuis 6 ans. Revenu cet été à Qarraqosh dans sa famille pour le baptême de sa fille Rachel, 11 mois. Il partait avec les siens pour la cérémonie à l’église, quand les combattants kurdes qui protégeaient la ville, ont débarqué pour leur annoncer qu’ils allaient se replier. Qarraqosh et les villages alentours étaient encerclés. Il fallait évacuer immédiatement pour ne pas tomber aux mains des islamistes. « Table dressée, salon décoré, nous avons tout laissé, pour fuir, paniqués, vers Erbil au Kurdistan », explique Rafet, « Une demi-heure plus tard, les djihadistes occupaient nos maisons. » Un exode phénoménal. En un rien de temps, la ville s’était vidée de ses 60 000 chrétiens.
Rafet est revenu en France, tandis que les siens survivaient dans la capitale du Kurdistan. Soixante personnes entassées dans une maison de cinq pièces, vide et sans eau. Grâce à leurs relais en France, ils ont reçu des visas pour y être accueillis. Ce 27 octobre, à Roissy, Rafet attend son frère, sa femme et leurs deux enfants qui arrivent d’Erbil, via Beyrouth (Liban), pour continuer leur vie en France.
Que peuvent-ils espérer de cet exil ?
La question hante Noël Harbot. Un retour sur leur terre natale ? « C’est hors sujet. Ils ont été trahis par le gouvernement irakien, et par les combattants kurdes. Ils n’ont personne pour les défendre. Ils ont peur et ne croient plus en rien, » répond celui qui réconforte les premiers arrivants. Quelle va être leur vie en France ? « Aucun ne parle la langue, dans une situation de crise, ils ne peuvent que s’en remettre aux aides sociales, » poursuit l’ex diplomate. « En Irak, beaucoup occupaient des postes de cadres, d’agents de maitrise, d’ouvriers qualifiés, d’enseignants. Ils ne retrouveront jamais ce statut en France. Leur seul espoir c’est leurs enfants. Eux s’intégreront. Mais les parents ? Un fossé générationnel se creusera."
La langue syriaque peut-elle se perdre, et Qarraqosh s’effacer des mémoires des plus jeunes ?
« C’est un risque » se désespère Noël Harbot.
Deux mille ans d’histoire perdus en trente minutes. Une catastrophe !
[caption id="attachment_119" align="alignright" width="300"] L'auteur avec Mgr Casmoussa au Liban[/caption]
Ce constat alarmant me rappelle une conversation que j’avais eu début septembre à Beyrouth avec Mgr Casmoussa, ex archevêque de Mossoul, aujourd’hui numéro deux de l’Eglise syriaque catholique. « Nous sommes à la fin du 2 é mois de la prise de la Plaine de Ninive par le Daéch (Etat islamique) et aucun signe de libération. Pire, on nous dit que la reprise de Mossoul prendrait 3 ans. Autant dire à Daesh: tranquillisez-vous, prenez votre temps pour vous installer et détruire », déplorait le religieux
Entre temps, me confiait l’évêque, « l’émigration de nos communautés se poursuit ». Chaque semaine, des chrétiens d’Irak prennent la route vers Amman, Beyrouth, la Turquie, en attendant de s’envoler vers des continents plus lointains. Les familles sont disloquées, projetées sans être préparées à vivre dans un monde occidental, qui leur est étranger. Finis le rêve de bâtir un Irak pluriel, où les chrétiens jouiraient des mêmes droits que les autres.… « Un drame, concluait tristement Mgr Casmoussa. Pour nous mais aussi pour les musulmans, condamnés, sauf miracle, à vivre coupés du monde, sous un régime barbare. »