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Jérusalem, enfin un regard différent

C’était le 20 novembre 2021, lors du centenaire de « Terre Sainte Magazine », la revue franciscaine,  au Collège des Bernardins, à Paris. En fin de journée, je retrouvais Altair Alcântara. Je ne l’avais pas revu depuis une bonne dizaine d’années. Un vrai bonheur de le retrouver et de partager ses derniers périples.

Altair a parcouru les cinq continents, gravant dans ses objectifs ces petits bouts de vie qui font le monde. Un vieux paysan ridé au Guatemala, un café à Sulaymaniah en Irak, une  mariée en Ouzbekistan, une fête à Salvador de Bahia au Brésil, un croyant en prière en Afghanistan. Ses reportages ont été publiés dans de nombreuses revues et  journaux, et ses photos exposées en France, au  Brésil, au Japon, en Turquie, en Inde et en Jordanie.

De son sac, mon ami sortit et me tendit  son livre sur Jérusalem. Il m’expliqua qu’entre deux voyages, il se rendait régulièrement dans la ville sainte avec son stylo et ses appareils photos. «  Après avoir découvert la ville il y a trente ans, je suis revenu à Jérusalem alors que je m’étais promis de ne jamais y remettre les pieds. Impliqué dans un projet de livre sur la mémoire palestinienne, j’ai redécouvert la ville. A partir de 2015, j’y séjournais au moins deux mois par an, » résuma-t-il en m’offrant son ouvrage.   

Un livre sur Jérusalem, encore un ! Que pouvait-on dire de plus  sur la «  ville trois fois sainte ». Dix mille fois décrite et photographiée depuis des siècles, avec les sempiternelles clichés, les mêmes formules récurrentes, les mêmes redondances, et les mêmes photos : le dôme du rocher, le juif en prière le front collé au mur des pleurs, sans oublier la procession chrétienne sur la Via Dolorosa chaque année à Pâques.

Ce n’est qu’en arrivant à la maison que j’ai ouvert le livre. Et quelle surprise ! En quelques 60 photos accompagnées  de  textes qui allaient au-delà de la légende habituelle, qui reproduit en mots ce que l’image montre, Altair Alcântara offrait un autre visage de Jérusalem. Jamais un livre sur la « ville sainte » ne faisait ressentir avec autant de force son mystère, sa spiritualité mais aussi sa violence. Pas seulement avec des pierres et des lieux, mais avec des visages d’hommes et de femmes qui sont de notre temps, vivant, priant, travaillant au cœur de notre époque, et des textes qui ne racontent pas le glorieux passé, mais la vie actuelle, en mélangeant la brutalité à la douceur, le mystère de la foi à violence de la ville. Son universalité aussi qui fait entendre des langues venues du monde entier.

Des images surprenantes comme cette séquence, où des jeunes religieux juifs en kippas dansent, stimulés par un groupe de femmes palestiniennes en hidjab, frappant dans leurs mains. Scène d’espoir d’une coexistence possible dans cette région du monde, qui compte tant de morts depuis 2000 ans. Plus loin, ces femmes en noires, israéliennes, qui chaque vendredi vers midi manifestent contre l’occupation des territoires palestiniens par l’armée israélienne, sourdes aux insultes que leur lancent les colons de passage. 

D’autres images évoquent la répression dont sont victimes les Palestiniens. Ici, une jeune femme étranglée par deux policières israéliennes. Là, un berger âgé et son troupeau devant le mur de séparation qui confine les Palestiniens dans leur pauvreté.

 Et puis la foi : foi des chrétiens éthiopiens, des juifs se recueillant devant le Mur de lamentations et des musulmans rassemblés  durant le Ramadan, près de la mosquée Al-Aqsa. Une foi omniprésente, mais débarrassée des lourdeurs répétitives. 

Un quotidien sur pellicule accompagné par des textes truffés d’anecdotes inédites, amenant le lecteur à découvrir Jérusalem autrement que figée dans les pierres et l’histoire. Une cité  sainte aussi vivante que cette mosquée/ chapelle de l’Ascension située au sommet du Mont des Oliviers, lieu musulman accessible aux chrétiens, où reposerait la mystique irakienne du VII è  siècle Rabbia Al Adawiyya, qui demandait à Dieu de détruire le paradis par le feu, et de noyer l’enfer sous des trombes d’eau, pour aimer le Créateur, sans espérer le premier, ni craindre le second.

La Jérusalem de 2022, n’est plus celle de 2017 (*1) et encore moins celle de 1948. L’auteur en tient compte, et son livre prend le lecteur par la main pour l’emmener dans une cité ancrée dans l’actuel, en lui donnant l’envie d’y aller ou d’y retourner.      

Luc Balbont

 Jérusalem, un essai photographique – Altair Alcântara – Maisonneuve et Larose / Hémisphères  éditions – version bilingue français-anglais. 160 pages ; 28 euros. Altair Alcântara est un nom de plume, l’auteur préférant rester anonyme.

© Altair Alcântara pour toutes les photos

(*1)  2017 ! Pourquoi ? Parce que l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a bouleversé l’état d’esprit et l’espace  de la ville.