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"Les chrétiens d’Orient ont moins peur de Daech que leurs Frères d’Occident". Rencontre avec Mgr Mounir Khairallah, évêque maronite de Batroun
Batroun, Liban nord. Saint-Etienne, la cathédrale des Maronites domine le port de pêche de toute sa hauteur. Le soleil accentue l’éclat des pierres des vieilles bâtisses orientales et des échoppes du souk. Au café du garage, des consommateurs sirotent lentement leur café turc et la limonade douce, la spécialité locale. Construite par les Phéniciens, conquise successivement par les Grecs, les Romains, les Arabes et les Ottomans, Batroun rivalise dans son quartier historique avec les grandes cités de la civilisation arabe.
Dans ce décor de rêve, qui rappelle les contes des “Mille et une nuits”, comment imaginer qu’à moins de 30 Km de ce coin si paisible, la Syrie voisine vit l’enfer d’une guerre civile qui, depuis plus de quatre ans, compte ses morts et ses déplacés par milliers. Un paradoxe incroyable, dont je fais part à Mgr Khairallah, qui me reçoit à son évêché en cette matinée de juillet. “La Syrie, me répond l’évêque de Batroun, traverse aujourd’hui la période d’horreur que nous avons vécue entre 1975 et 1990. Au Liban, Les jeunes, chrétiens ou musulmans, ont retenu la leçon. Ils ne se laissent plus manipuler par des idéologues, aussi facilement que leurs aînés.”
Agé de 62 ans, originaire du nord Liban, Mounir Khairallah a été marqué dès l’enfance par un drame qui aurait pu détruire sa vie d’homme. En 1958, ses parents, de modestes paysans, sont assassinés par un ouvrier syrien travaillant au village familial. Il a seulement 5 ans, mais il se rappelle de cette journée dans ces moindres détails: “Quelques heures après le meurtre, l’une de mes tantes, religieuse au monastère de Sainte Rafqa, tout proche de notre maison, est venue nous chercher mes trois frères et moi, pour nous mener à son couvent. Elle nous a fait entrer dans l’église, et devant l’autel nous a demandé de prier, non seulement pour nos parents mais pour leur assassin. Je n’ai pas bien compris pourquoi je devais prier pour cet homme qui venait de tuer mon père et ma mère.”
Ordonné prêtre le 13 septembre 1977, jour anniversaire du martyr de ses parents, après des études de philosophie et de théologie à Rome, Mgr Khairallah avoue «qu’il a aujourd’hui pardonné, même s’il a eu du mal, dans son adolescence, à prier pour le meurtrier de ses parents”.
Evêque de Batroun depuis le 15 février 2012, Le P. Mounir comme l’appellent les Batrouniens est un homme énergique, actif sur tous les fronts, notamment sur celui de l’identité et du vivre ensemble : “Notre devoir est d’oeuvrer pour fédérer les dix-huit communautés religieuses du Liban autour de ce bien commun qu’est la citoyenneté, répète-t-il à ses visiteurs de passage. Montrer aux jeunes générations qu’ils sont Libanais avant tout”. Voilà pourquoi, argumente-t-il, “je lutte avec détermination contre un Etat islamique tel que le Daech veut le construire, où la religion tient lieu d’identité, en allant jusqu’à tuer ceux qui refusent de se convertir ou de se soumettre.”
Pour mener ce combat plus efficacement, Mgr Khairallah rencontre aussi souvent qu’il peut, les chefs et les responsables musulmans de la région. Une commission de dialogue islamo-chrétien a d’ailleurs été instituée à Batroun, dans le cadre du Synode diocésain. « Avec l’imam chiite Rida Ismaïl et le cheikh Sunnite Mahmoud Naaman nous voyons fréquemment pour travailler à la formation de nos jeunes », assure-t-il. « Nous intervenons régulièrement ensemble lors de tables rondes, de rencontres interreligieuses, et de manifestations diverses, pour défendre la convivialité et le vivre ensemble. Nous menons le même combat contre l’intolérance et le terrorisme ».
Mgr Khairallah est catégorique. “le Daech est une perversion de l’islam, et les musulmans en sont autant victimes que les chrétiens.
Affirmant, « qu’en envahissant l’Irak en 2003, pour leurs intérêts personnels, les Américains ont engendré ce monstre, dont l’Orient pâtit aujourd’hui ». Paradoxalement, l’évêque constate pourtant que « les chrétiens d’Orient ont moins peur des islamistes du Daech que leurs frères d’Occident ». Sans doute parce que "depuis des siècles, les Eglises du monde arabe, minoritaires, sont habituées à vivre dans l’incertitude du lendemain, toujours prêtes à affronter le pire …”
Le constat de Mgr Khairallah se vérifie ici, au quotidien. Dans ce nord Liban, à portée de fusil des groupes jihadistes, les chrétiens semblent bien plus préoccupés par la crise institutionnelle qui paralyse le pays, sans président depuis plus d’un an (*1), ou plus angoissés par le prix prohibitif de la scolarité qu’ils devront payer pour leurs enfants à la rentrée prochaine, que par l’invasion des combattants daechistes.
Luc Balbont
(*1) depuis le 25 mai 2014