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LETTRES D’IRAK : Y CROIRE QUAND MÊME
C’est au printemps 2005, quelque mois après son enlèvement par un groupe armé à Mossoul, que j’ai rencontré Mgr Georges Casmoussa. Il était alors archevêque syriaque catholique de cette grande ville du nord de l’Irak, et il m’avait raconté lors d’un passage en France, son enlèvement, sa détention, et comment il s’était préparé à mourir sous le couteau, que ses agresseurs lui avait sadiquement montré.
Dix ans déjà, et Mgr Casmoussa, né à Qarraqosh, dans la plaine de Ninive, au nord de l’Irak il y a 77 ans, a échappé au sort qui lui était promis. Dix ans durant lesquels notre amitié s’est forgée. A Paris, à Beyrouth, à Qarraqosh, avant l’arrivée des terroristes de l’organisation de l’État islamique, nous nous sommes souvent retrouvés, pour parler de notre espoir de voir naitre en Irak une citoyenneté commune, un vivre ensemble réel, dans un pays enfin en paix.
Aujourd’hui, devant les derniers évènements dramatiques qui ensanglantent cette partie du monde, le doute me hante.
- Et si nous nous étions trompés ?
- Et si le chaos était définitif, et la démocratie impossible dans les pays arabes ?
- Les chrétiens sont-ils voués à disparaître de leur terre d’origine ?
Dans la nuit du 12 mars 2015 j’écris ces mots au Père Casmoussa :
« Père, Je voulais vous dire toute ma tristesse devant la cruauté qui frappe votre pays. Hommes et femmes enlevés, assassinés au nom de Dieu, œuvres d’art broyées, traces d'histoire de la Mésopotamie effacées, Humanité défigurée. J'ai du mal à écrire l’espérance, et je ne peux plus employer les mots vivre, homme, Dieu, amour, compassion, tendresse, joie, croire. La mort aura-t-elle finalement raison ? Et si nous nous étions trompés ? »
Le 13 mars au matin, je recevais cette réponse, envoyée de Beyrouth.
« Luc, j'ai tant pleuré en voyant les images des gens de Qaraqosh chassés de chez eux, en quelques minutes par le terrorisme de Daech. Quel spectacle insoutenable de voir ces femmes, ces hommes, ces enfants, que je croisais tous les jours, dormir comme des animaux dans les jardins, sur les parvis des églises, sur les places publiques et les trottoirs, à Ainkawa (*1) le 7 Aout 2014.
Je ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer toute ma détresse devant le spectacle de la destruction de la Mosquée de Nabi Younes (Prophète Jonas), du Musée de Mossoul et de la Cité assyrienne de Nimrod. Toute mon histoire, notre histoire effacée. Quelle pitié! Mais n'est-ce pas au fond le signe de l'impuissance d'un tel islam ?
L’Islam passe aujourd’hui par une crise forte d'identité. Une offensive militaire, aussi puissante soit-elle, ne pourra venir à bout d'une idéologie destructrice, d’un "Dieu pervers" et d'un "Islam détourné", si elle n'est pas soutenue par une volonté universelle, et menée par des chefs d’états, des intellectuels et des religieux "musulmans". Il faut que ces dernier aient le courage de questionner les textes fondateurs de l’islam, de les aborder avec un sens critique, pour éradiquer ce qui n'est pas compatible avec la dignité humaine, et la reconnaissance des droits des minorités, ou des femmes. Une vraie révolution culturelle doit s’opérer, un retournement total. Les musulmans doivent engager ce combat contre la perversité de Daech et nous devons les y aider.
Luc, de grâce n'allez pas perdre vos convictions à cause de cette perversité. Nous ne nous sommes pas trompés dans les propos que nous avons tenus dans notre livre (*2). La citoyenneté commune, la démocratie, le respect des personnes restent possibles dans nos pays. Ce sont des besoins universels. Et Daech n’est qu’une éclipse comme il y en a eu tant dans l’histoire des hommes. Une éclipse qui n’éradiquera jamais la lumière du soleil. L’idéologie morbide de l’État islamique doit nous interpeller sur les limites de nos sociétés actuelles, qui réduisent l’homme à ses valeurs marchandes et à sa puissance économique. Comme vous, je passe, aujourd’hui, par des moments de chagrin et d’abattement, mais je reste pourtant certain que le mal et la mort n’auront jamais le dernier mot.
Daech peut nous questionner sur les perversités humaines, mais il ne triomphera jamais … Juste un tunnel, sans doute trop long et trop noir … A nous d’en sortir pour retrouver la lumière. »
+ Georges
(*1) Au Kurdistan irakien, où les chrétiens, chassés dans la soirée du 6 août 2014, se sont en grande partie réfugiés, pour fuir les djihadistes de Daech.
(*2) Lire le récit de la détention de Mgr Casmoussa dans « jusqu’au bout », Nouvelle cité.
Luc Balbont