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Liban, 10.400 km2 qui ont marqué l'histoire de l'humanité
Malmené, agressé, occupé, pillé. Détruit, souvent mal reconstruit. Partagé entre des communautés ethniques et religieuses en rivalité. Dirigé par des chefs de clans corrompus qui tiennent leurs populations en otage. Frappé par quinze ans de guerre civile jusqu’en 1990, par une terrible crise économique depuis 2019, par l’explosion catastrophique de son port à Beyrouth, en 2020, et bombardé régulièrement au sud par l’armée israélienne, que reste-t-il du Liban, sinon l’histoire ?
Chaque fois que je passe à Jbeil, la Byblos grecque, si proche de mon domicile, j’éprouve un vertige en pensant au nombre de civilisations qui s’y sont croisées, côtoyées ou combattues, en près de 8000 ans d’histoire. Phéniciens, Egyptiens, Hyksos, Hittites, Assyriens, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, Byzantins, Croisés, Mamelouks, Ottomans, Français y ont laissé leurs traces : temples, théâtres, voies, remparts, forteresses, places publiques, ports, églises, monastères, mosquées, autant de merveilles visitées chaque année par des millions de gens venus du monde entier.
Bien sûr, il y a les sites connus, ceux inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, ou en attente de l’être, tels Anjar, Baalbek, Byblos, Tyr ; la Vallée de la Qadicha et la forêt des Cèdres, ou le bâtiment de la foire internationale de Tripoli. Le site du Chouf, au centre du pays, la route du Nahr-el-Kalb, à la sortie Beyrouth etc… Mais cette histoire multimillénaire ne s’incarne pas seulement dans ces grands classiques répertoriés dans tous les livres d’histoire, on les trouve aussi dans un grand nombre de villages anonymes, se révélant même jusque dans les dépendances des maisons individuelles.
Mon ami Jammal, par exemple, a retrouvé il y a quelques années les restes d’un théâtre romain, au fond de son jardin.
En creusant pour construire une terrasse dans sa propriété, mon voisin a mis à jour des poteries antiques.
A Kfarhay, au nord du pays, lieu du premier siège patriarcal maronite au Liban (685), un ancien évêque, Mgr Saadé, décédé en 2022, collectionnait objets et vieux manuscrits chrétiens, qu’il exposait de son vivant dans une salle de sa résidence d’été, pour retracer l’histoire de la région, aux visiteurs de passage.
A Batroun, non loin de Tripoli, le vieux Samy, raconte que « Chaque fois qu’il passe aujourd’hui devant ce qui reste du mur phénicien, près du port, il ne peut s’empêcher de se souvenir qu’enfant, il venait avec ses copains le long du site ramasser des pièces de monnaies antiques, pour acheter des bonbons chez le marchand d’en face. » Ce mur, Samy le connait par cœur, il peut en raconter l’histoire, et les doutes qui entourent son origine : phénicien ou grec ? …
Les Libanais ont besoin de se rattacher à leur histoire (*) et de la transmettre. Sur l’un des murs de son salon, Gaby a ainsi fait sculpter une gigantesque embarcation phénicienne, « pour rappeler, dit-il, tout ce que mon pays a apporté au monde il y a 3000 ans. »
Conscients de cet attachement, les responsables de la Direction Générale des Antiquités, à Beyrouth veillent à la protection de cette histoire. C’est grâce à la vigilance, et au professionnalisme de ses experts, que le Liban continue d’exister. Une histoire multimillénaire, qui traverse les âges, les crises et les conflits.
Luc Balbont
(*) Lire dans la newsletter du Monde de la Bible, le portrait de Charles Personnaz, le directeur de l’Institut national du patrimoine.
©Luc Balbont