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LIBAN-IRAK : L’ENGAGEMENT CITOYEN, LA VOIE DU VIVRE ENSEMBLE ISLAMO-CHRETIEN
Au Liban comme en Irak des chrétiens et des musulmans mènent un combat commun contre la corruption des dirigeants.
“Vous puez ! ”, drôle de nom pour un mouvement citoyen qui, depuis cet été, fait trembler les élites du Liban … et d’Irak, où la contestation s’est étendue par la suite.
Durant des semaines des milliers de manifestants, toutes confessions confondues, ont occupé le centre de Beyrouth et de Bagdad, pour manifester, sans violence, contre la corruption qui gangrène ces pays. Confessionnalisme, tribalisme mafieux, grandes familles prédatrices ont été les cibles des protestaires, unis dans une même demande de justice sociale.
Un goût retrouvé des prémices des printemps arabes de janvier 2011, qui, quoiqu’en disent les grincheux, auront permis la naissance d’un embryon de citoyenneté dans des pays, où la loi des clans prédomine le plus souvent.
A Beyrouth, tout a commencé le 22 août (*1), lorsqu’une poignée de manifestants est descendue spontanément dans le centre-ville, pour demander aux responsables d’intervenir, afin de ramasser les ordures ménagères qui s’amoncelaient, depuis des mois, dans les rues de la capitale, suite à un dysfonctionnement: A Naamé, en pays druze, Walid Joumblatt, chef de cette communauté religieuse, influente au Pays du Cèdre, ayant décidé de fermer subitement, dès le mois de juillet, la principale décharge du pays. Dans ce premier groupe de manifestants se côtoyaient des orthodoxes, des maronites, des musulmans sunnites et chiites, des druzes, mais aussi des communistes et des progressistes, rassemblés et unis dans une démarche revendicatrice commune.
Une contestation qui s’est rapidement propagée avec la création d’un mouvement citoyen, baptisé ironiquement “Vous Puez” (tal’ït rihatkoum en arabe libanais), un qualificatif adressé aux dirigeants verreux par des milliers de Libanais lassés de la corruption, de l’incompétence, des coupures constantes d’électricité, d’eau, et des factures qu’ils doivent payer en double :
- d’une part, à l’État croupion
- et de l’autre, aux organismes privés qui pallient l’incurie du pouvoir.
A la tête de ce mouvement, aucune personnalité marquante mais des acteurs de la vie civile déterminés, comme le blogueur Imad Bazzi, l’avocat Marwan Maalouf, qui se trouvait en Tunisie au début des “Printemps arabes”, en Janvier 2011, ou Assad Thebian, un ancien militant du Parti socialiste progressiste (PSP) …
Et surtout des milliers d’anonymes qui en ont ras-le-bol de cette “République sans morale”. Jusqu’à aujourd’hui, la ferveur des manifestants ne faiblit pas, d’autant que les appels d’offres faites aux sociétés de collectes des déchets, a révélé que chaque parti politique tentait de placer une entreprise de son choix, afin d’empocher de fructueuses commissions.
Devant la colère citoyenne, la réaction des leaders politiques et religieux est mitigée.
Si la majorité approuve ce mouvement de révolte pacifique, ce n’est que du bout des lèvres. Motif invoqué : la crainte que cette vague revendicatrice ne dérape dans la violence, comme en Syrie voisine, avec comme argument : la sempiternelle théorie du complot.
Ces groupes seraient manipulés, selon les dirigeants, par des “puissances étrangères désireuses de déstabiliser le pays”. Il n’est que de suivre quelques manifestations pour se rendre à l’évidence. Les manifestants ne sont que des hommes et des femmes de toutes tendances et de toutes religions, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, pères et mère de familles qui en ont assez d’être exploités par des élus incompétents et corrompus.
Pour ces dirigeants qui craignent surtout de perdre leurs privilèges et de devoir rendre des comptes à la rue, l’alarme est sérieuse. D’autant qu’en Irak, quelques semaines plus tard, une même vague de protestation s’est levée. A Bagdad, chrétiens et musulmans ont également manifesté pacifiquement, côte à côte, contre la corruption des élites, et pour des droits citoyens.
Dans un temps où l’on ne souligne que les conflits communautaires et les guerres de religions, ces manifestations citoyennes sont un souffle d’air frais. Un signe d’espoir qui montre que “le vivre ensemble islamo-chrétien” est possible.
Les difficultés quotidiennes de la vie, le droit à la dignité, au respect, constituent un socle commun, où chrétiens et musulmans peuvent s’enraciner pour mener ensemble un même combat, et parler d’une même voix.
Luc Balbont
(*1) 2015