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L’Orient perd sa diversité, l’Occident en a peur. Rencontre avec Samir Frangieh, penseur du “vivre ensemble”

Beyrouth. 7 janvier 2015.

Au moment même où nous nous retrouvons dans le petit salon de son appartement du quartier Clémenceau, trois jihadistes déciment au nom de Dieu la rédaction du journal “Charlie-Hebdo”, à Paris.

Nous n’apprendrons la terrible nouvelle qu’au terme de notre entretien. Comme s’il avait éprouvé un pressentiment de la tragédie, Samir Frangieh soulignant que les mises en scène macabres des djihadistes vont de pair avec la montée des partis xénophobes en Europe, attaque nos retrouvailles par cette réflexion qui résume bien l’actualité présente: La diversité qui est en train de disparaître en Orient, fait peur aux Occidentaux, qui ont du mal à l’accepter. Mon fils a épousé une musulmane. Il n’y a eu aucun problème entre nos deux familles.”

A 69 ans, cet intellectuel libanais, né dans une famille chrétienne maronite du nord qui a marqué l’histoire du pays du Cèdre – un père ministre, un oncle président de la République, et lui même ex-député- reste avant tout un penseur.

Le penseur du “vivre ensemble”, de la citoyenneté commune, l’ardent pourfendeur du communautarisme qui a tant nui au Liban. Entre 1975 et 1990, durant les années de guerre civile, Samir Frangieh avait pris ses distances avec les milices confessionnelles chrétiennes sectaires, de même qu’il fut l’un des initiateurs du “Printemps libanais” de 2005, prémices des révolutions arabes, qui vit plus d’un million de personnes, toutes religions confondues, descendre dans la rue pour réclamer le départ de l’armée syrienne, présente dans le pays depuis 1976. Maronite certes, mais Libanais avant-tout.

Pour lui, “ les chrétiens du Liban ont un avenir, mais à la condition qu’ils ne se replient pas sur leur communauté et qu’ils participent totalement à la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays. Lors de sa visite au Liban, en 1997, poursuit-il, le pape Jean-Paul II avait avait su trouver les mots justes dans son exhortation apostolique, pour inciter les chrétiens à vivre leur arabité. J’ai encore relu le texte il y a peu.”

Optimiste mais surtout pas naïf Samir Frangieh !
Ses espoirs de voir naître une société civile au Liban, unie dans des objectifs communs, s’incarne dans cette jeunesse, qui a, dit-il "pris ces distances avec les vieux partis politiques, embourbés dans des débats stériles, et des intérêts personnels, afin de s’engager pleinement sur des problèmes de société touchant à l’intérêt général. Au Liban, sur les réseaux sociaux, les débats fleurissent sur l’éducation, l’environnement, le droit des femmes, la santé.”

Les associations libanaises qui regroupent des jeunes de toutes confessions pour défendre des droits humains universels réjouissent le vieux sage. Pour lui, la jeunesse arabe d’aujourd’hui ose aborder les sujets les plus tabous. Elle n’a plus peur. Elle conteste, manifeste. En face le conservatisme et l’extrémisme n’ont que la répression et la violence pour leur répondre.

Avant de nous quitter, Samir Frangieh me confie qu’il travaille en ce moment avec Sélim Abou, l’ancien recteur de l’université jésuite Saint Joseph sur un livre. Thème de l’ouvrage: le vivre ensemble.

Obstinément, jusqu’au bout, l’homme persiste, et n’est pas prêt de rendre les armes.