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Najib, le sauveur de la mémoire chrétienne en Irak

En juin 2011, dans sa communauté de Qarraqosh, au nord de l’Irak, je l’entends encore me faire part, dans un français parfait, de son émotion en me montrant sur un écran, deux manuscrits retraçant l’histoire d’une paroisse locale, dénichés dans un village kurde.

Deux ouvrages précieux, datant de la fin du XIX é siècle, témoins de l’histoire des Syriaques sous l’empire ottoman. Des incunables désormais sortis du néant par le génie de Najib Mikhaïl, un frère dominicain irakien, philosophe, historien et polyglotte, né en 1955 à Ninive, devenu un spécialiste reconnu de la conservation numérique, le sauveur de la mémoire chrétienne de Mésopotamie.

NajeebEquipe2Rien ne semblait pourtant diriger cet expert en ressource pétrolière – Mais oui un spécialiste de l’or noir ! – rentré chez les Dominicains et ordonné prêtre en 1987 – vers ce métier si particulier qui allie l’intellect d’un universitaire à la dextérité manuelle d’un compagnon du devoir. Mais Najib a perçu très tôt que le livre et l’écrit constituaient la mémoire de l’homme, et que sans mémoire, ce dernier se transformait en bête. « Les djihadistes de Daech ne détruisent-ils pas aujourd’hui les manuscrits et les cités antiques, » argumente-t-il.

NajeebEquipeRien non plus ne prévoyait le drame, qui allait frapper la région nord de l’Irak. Jusqu’en août 2014, c’est dans cette partie du pays, que frère Najib, dirigeait son centre numérique des manuscrits orientaux (CNMO), créé en 1990, à Mossoul. L’équipe - dix personnes, deux religieux et huit laïcs - occupait alors une jolie maison à Qarraqosh, où la réputation du CNMO avait déjà franchi les frontières. En 2009, des bénédictins américains de l’Etat du Minesota, impressionnés par la réputation du Centre, avait même signé un accord de partenariat avec l’équipe : «  Leur aide nous a permis d’équiper nos studios et de financer des séjours de formation pour notre équipe, » reconnait le Frère, qui avoue humblement son statut d’autodidacte en matière de conservation, « ayant appris sur le tas, précise-t-il, les secrets de ce métier ».

NajeebmesseUne croissance et une notoriété stoppée brutalement par la guerre et la barbarie… Dans la nuit du 6 août 2014, Najib fuyait la ville, comme les 60 000 habitants de Qarraqosh, chrétiens syriaques en majorité, pour laisser place aux combattants de l’Etat islamique (*). Quand les djihadistes débarquent dans la maison des dominicains, tout a été vidé. Alerté par la chute de Mossoul, huit semaines plus tôt, où l’armée irakienne avait été balayée par les combattants islamistes, Najib avait commencé, dès le 25 juillet, à déménager livres, manuscrits et documents précieux vers Erbil, dans la province du Kurdistan. « Nous sommes aujourd’hui dans un lieu tenu secret, où nous continuons notre travail de numérisation de ces précieuses traces écrites. Chaque manuscrit, chaque document, chaque page numérisée devient immortel » martèle Najib.

« C’est la seconde fois que nous nous exilons. Déjà en 2007, suite à des attentats contre notre église et à des menaces répétées, notre hiérarchie nous avait demandé de quitter Mossoul et de nous replier à Qarraqosh, à 30 km à l’est, pour des raisons de sécurité, » raconte le Frère.

le Père Najeeb avec les réfugiésA Qarraqosh le centre de Najib est devenu le QG de l’Etat Islamique. Mais à Erbil, où il s’est réfugié, frère Najib et son équipe continuent à immortaliser l’histoire, tout en se préoccupant des hommes, « qui ont tant besoin de mémoire ». Dans deux hôtels de la capitale du Kurdistan, le Frère a ouvert des refuges pour que les déplacés aient des conditions de vie décentes, en attendant de retrouver leur maison. Le premier a pour nom la Vigne, dans le second baptisée l’Espoir, il accueille 145 familles, des chrétiens et des Yazidis, une religion de l’ancienne perse, victimes eux aussi, de la barbarie daéchiste. « Il faut préparer la paix, dit-il, non seulement en sauvant la mémoire des Irakiens, mais en leur apprenant à vivre ensemble.»

Luc Balbont

 

(*) Lire dans ce blog la chronique du 11novembre 2014, « 2000 ans d’histoire perdus en 30 minutes ».