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« Nier les sensibilités religieuses mène au sectarisme »

Monde arabe: du confessionnalisme à la citoyenneté. Entretien avec le Père Fadi Daou, fondateur de l'association Adyan (*1), à Beyrouth crée en 2006.

Les leçons du massacre des chrétiens orientaux – arméniens mais aussi syriaques, chaldéens, assyriens, grecs orthodoxes, melkites - en 1915, n’ont pas été retenues. Le drame se perpétue en Irak et en Syrie. Quel est votre analyse ?

Père Daou – La période n’est pas positive, et malheureusement elle risque de durer. Mais les évènements dramatiques actuels peuvent aussi constituer le point de départ d’un renouveau, instaurer de nouvelles bases d’un dialogue islamo-chrétien constructif, en tirant les leçons du passé. Même si dans sa forme institutionnelle, élitiste, le dialogue islamo chrétien a déçu, il a malgré tout lancé quelques passerelles. Dans chaque communauté, se trouvent aujourd’hui des personnalités capables de jouer les médiateurs, en cas de conflit.

Q- Pourquoi cet échec du dialogue?

Père Daou – Il existe un malentendu. Le dialogue n’a pas pour objectif de réunifier les dogmes. Mon dialogue avec un musulman ne vise pas à le convaincre que Jésus est fils de Dieu, mais d’instaurer avec lui une relation de confiance.

Q- Comment construire la confiance entre deux religions concurrentes ?

Père Daou- Prenons l’image de deux personnes en dialogue. Elles sont face à face, et entre eux il y a un espace, souvent une table. À Adyan, nous discernons d’abord le problème que nous voulons aborder, puis nous le plaçons en face de nous. Et, pour en débattre, nous nous asseyons côte à côte, en tentant d’avancer ensemble.

Q- Donnez-moi l’exemple d’un problème qui vous tient à cœur à Adyan ?

Nous travaillons beaucoup sur la citoyenneté. Il est primordial de donner non seulement au Liban, mais aux pays arabes un sens du bien commun.

Q- Comment donner ce sens de la citoyenneté ?

Père Daou – Par le concept de « Citoyenneté inclusive de la diversité culturelle et religieuse» qui vise à construire une citoyenneté commune, en incluant les sensibilités religieuses. Il ne faut plus tomber dans l’erreur de les gommer, de faire comme si elles n’existaient pas. Ce refus a conduit à l’échec, et contribué à développer le sectarisme religieux. C’est en assumant notre héritage religieux chrétien ou musulman que nous devenons pleinement citoyens. Ce concept de « Citoyenneté inclusive » a pour but de rassurer ceux qui assimilent la laïcité à l’athéisme.

Q- Cette mauvaise interprétation de la laïcité est un obstacle majeur dans l’islam …

Père Daou – Dans l’islam mais aussi dans une partie du christianisme oriental. En Orient, on craint cette laïcité occidentale qui est perçue comme antireligieuse. Chez nous, les chefs religieux et politiques, chrétiens et musulmans, pèsent de toute leur influence pour conserver ce système communautaire, qui leur assure une clientèle en maintenant leur pouvoir. A dessein, ils stigmatisent la laïcité, qu’ils qualifient d’hostile à la foi.

L’islam reste encore très fermé au concept laïc. Il faudra beaucoup de patience et de pédagogie pour parvenir à briser les réticences. La montée de l’islam politique aujourd’hui ajoute encore aux difficultés. Pour les idéologues musulmans, on entre dans la société par l’islam, et non par la citoyenneté. Aujourd’hui, face à ce défi, il y a un appel à lancer pour que l’islam rentre dans la modernité.

Q- Malgré le jihadisme qui prend de l’ampleur un peu partout dans le monde, vous gardez quand même l’espoir ?

Père Daou-  Un islam moderne est en train de naître, un islam qui s’appuie sur l’esprit critique, et qui refuse de s’ancrer dans l’obscurantisme. Cela demandera encore beaucoup de temps, mais à Adyan, nous y croyons.

Propos recueillis par Luc Balbont

(*1)  Adyan, les religions en arabe -  Lire chronique in blog “Rencontres Orientales” sur le site de l’Oeuvre d’Orient. “Adyan: Les religions au service de la citoyenneté du 25.2.2015 – https://blog.balbont.oeuvre-orient.fr/

A lire L’Hospitalité divine” de Fadi Daou et Nayla Tabbara, éditions LIT - Nayla Tabbara est l’universitaire muslmane qui a co-fondé Adyan avec le P. Daou