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Noël Harbot : “Jamais je n’aurais cru que le Pape viendrait en Irak »

A la télévision française, sur la chaine KTO, du 5 au 8 mars dernier, on a pu l’entendre traduire de l’arabe et du soureth (1) les sermons, les prières et les témoignages du voyage du pape François en Irak. Un défilé d’images où Noël Harbot, né à Qaraqosh le 10 avril 1948, a revu tous les lieux de son enfance et de son adolescence.  

A Mossoul, il a retrouvé les restes du séminaire dominicain Saint Jean, où jeune homme il étudiait la théologie. Bagdad lui a rappelé  la ferveur du  quartier chrétien de Karrada, où il venait souvent lorsqu’il travaillait au centre culturel français.

Dans la capitale irakienne, il a suivi l’office à la cathédrale syriaque catholique Notre-Dame du Secours, où le 31 octobre 2010, un commando islamiste tuait 48 chrétiens (2) qui assistaient à la messe dominicale : « Adam, mon neveu de 3 ans et son père Oudei figuraient au nombre des victimes. » confie Noël Harbot, la gorge serrée.

Comble de l’émotion : ses retrouvailles avec Qaraqosh, et l’église, aujourd’hui cathédrale, de l’Immaculée Conception. Il y a reçu le baptême, fait sa première communion et s’y est marié. « L’Immaculée a été restaurée après les destructions de Daech. Tout y est si beau, si neuf, que j’ai eu du mal à la reconnaitre. Elle a perdu une partie de son caractère oriental, regrette-il. J’aurais aimé que l’on garde quelques traces de la tragédie que nous venons de vivre, pour que les jeunes qui nous suivent n’oublient pas. »

La vie de Noel Harbot est une épopée, le parcours d’un homme qui ne demandait pourtant qu’à vivre tranquille auprès des siens dans sa bonne ville de Qaraqosh. Rien ne s’est passé ainsi.

 Apres avoir quitté le séminaire de Mossoul, le jeune homme part étudier au Liban, il revient en Irak en 1973 pour travailler à l’ambassade de France en qualité de traducteur. Il y reste jusqu’en 1990. Parfaitement francophone, il est repéré par les services de renseignement irakiens, qui veulent en faire un agent. Les pressions s’accumulent. Noel Harbot ne supporte plus le harcèlement des moukhabarat (3), qui le convoquent à tout bout de champ. Il  alerte sa hiérarchie. Celle-ci l’affecte en Jordanie à l’ambassade de France d’Amman en 1990, après avoir exfiltré sa femme et ses enfants en France.

En 1993, Il obtient la nationalité française et réussit quelques années plus tard, le concours d’admission au quai d’Orsay. Titulaire au ministère des Affaires étrangères à 48 ans, pour lui une nouvelle vie commence. Il reviendra voir les siens à Qaraqosh après la chute de Saddam Hussein en 2003, mais son existence sera désormais française.

Successivement en poste au service des visas à Nantes, puis en 2005 au consulat Français à Djeddah, en Arabie Saoudite, et enfin à Canton, en Chine. Noel Harbot prend sa retraite en 2013.

S’il a quitté l’Irak, l’homme reste attaché à son pays, à son histoire, à ses racines. Diacre de l’église catholique syriaque, il continue à s’occuper de la communauté chrétienne irakienne, et fonde à dessein une association (4) pour  faciliter l’installation de ses compatriotes en Europe. En 2018 il publie un livre sur l’histoire de son pays (5) avec Didier Destremau diplomate et ancien ambassadeur de France au Moyen-Orient et en Afrique.

Sur l’Irak rien ne lui échappe, il se tient constamment informé et s’il déplore l’exil de sa communauté, il se demande comment empêcher cette hémorragie ? « Quand on lit la constitution irakienne (6) on se rend compte que les chrétiens sont toujours considérés comme des citoyens de seconde zone ».

Noel Harbot pense pourtant que le voyage du souverain pontife et sa rencontre avec le grand ayatollah chiite Ali Sistani améliorera le sort de la minorité chrétienne, qui en Irak, comme dans beaucoup de pays musulmans, reste tout juste tolérée. « Il est temps, dit-il, de construire une société civile. En Irak, François a eu les mots qu’il fallait. Il a accompli des gestes forts. »

 Noel Harbot marque un léger temps d’arrêt puis enchaine : « la présence du Pape en Irak était pour moi un rêve. Je l’espérais de toute mes forces, mais sans vraiment croire que cela arriverait un jour. »

Luc Balbont.

Notes :

1 : Le soureth est le dialecte dérivé de l’araméen, encore parlé  par les chrétiens de la plaine de Ninive.

2 : Certaines statistiques parlent de 60 tués.

3 : Le renseignement irakien.

4 : « Les amis de la Mésopotamie » à Nantes.

5 : « De la Mésopotamie à l’Irak, une destinée meurtrie » - Maisonneuve et La Rose - Nouvelle édition : Hémisphère éditions.

6 : Notamment l’article 2.