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Nohad Azzi

Au Proche-Orient vivent aussi des personnalités et des communautés qui travaillent pour édifier un espace de paix et de citoyenneté .

« MA FILLE M’A AIDÉE À TOURNER LA PAGE »

Damour, au sud de Beyrouth. Janvier 1976, près de 600 chrétiens sont massacrés par un commando palestinien. Présidente aujourd’hui de l’association Libami, Nohad Azzi fait partie des survivantes.  Plus de 30 ans après, elle n’a rien oublié.

Au siège de l’association Libami (*) à Beyrouth, Nohad Azzi retrace le drame. Âgée de 22 ans à l’époque, elle vit avec son mari et ses deux filles à Damour, une ville chrétienne de 25 000 habitants, située au sud de Beyrouth, sur la route de Saïda. « Le 19 janvier, tôt le matin,, raconte-t-elle, ma belle-sœur est passée le matin pour nous avertir du danger. Elle nous a demandé  de cacher nos bijoux et notre argent. Mon mari ne l’a pas crue. »

" NOUS AVIONS TOUT PERDU, SAUF NOS VIES "

A 10 heures, alors que la famille est rassemblée dans le salon pour réciter le chapelet, un habitant de Damour, affolé, fait irruption dans la maison : « Fuyez, faites vite ! Les Palestiniens sont entrés dans la ville. Ils attaquent, mutilent, violent et brûlent tout ce qui leur tombe sous la main. »

A midi, le curé bénit la famille, puis il quitte la ville en moto, avec trois jeunes. « Georges, mon mari, refusait de partir. Il voulait mourir à Damour. Ce n’est que vers 13 heures qu’il s’est décidé

Avec ses deux filles de 5 ans et de 8 mois, la famille marche jusqu’au port de Sadiyyat. Au loin, la jeune femme voit sa maison partir en flammes. Une petite embarcation emmène la famille vers un plus grand bateau, qui stationne en mer. Dans la précipitation, Nohad a perdu une pantoufle. L’attente est interminable : « Nous n’avons pris la mer que le 21 janvier à 10 heures. 250 personnes, hommes, femmes, enfants pressés les uns contre les autres. Malades, vomissant. Nous sommes arrivés au port de Jbeil à 13 heures. Officiellement 582 personnes avaient été tuées. Nous avions tout perdu, sauf nos vies, confie Nohad. » Georges, son mari meurt un an après le massacre.

" MA FILLE HANDICAPÉE M’A AIDÉE À COMPRENDRE LE MONDE "

Nohad Azzi a, aujourd’hui, tourné la page. À quoi bon remuer le passé, reconstituer des scénarios horribles, au risque de rouvrir les plaies. Elle n’a gardé ni rancœur, ni haine envers les musulmans, comme envers les Palestiniens. Ses parents l’avaient élevée dans la bienveillance. La transmission familiale l’a aidée à dépasser la loi du Talion. Ses voisins musulmans ont souffert eux aussi, et les Palestiniens n’ont même plus de patrie. « Dieu peut me demander ce qu’il veut. J’obéisQue Sa volonté soit toujours faite. » Alors, la première fois qu’une femme palestinienne dans le besoin, vient la solliciter, elle n’hésite pas à lui tendre la main. A Libami, la plupart des gens qui frappent à sa porte sont musulmans.

Persister, continuer à espérer. Sa fille Christiane, handicapée mentale, la ramène constamment à cet essentiel. « Je vis chaque jour avec un ange. Elle est tout amour. Sa différence est une bénédiction. Elle me fait penser aux enfants pauvres dont je m‘occupe à Libami. Elle m’a aidée à comprendre le monde. À mieux l’aimer »

En mai 2016, Nohad est revenue à Damour, elle a retrouvé sa maison. À entrepris des travaux. Elle y retourne chaque dimanche avec Christiane. Pour vaincre sa peur, elle y a même dormi. « Aujourd’hui, confie-t-elle, tous ceux que j’aimais sont partis de Damour. Il ne reste que les pierres, et on ne peut pas s’attacher à des pierres. Les gens avec lesquels j’ai vécu sont ailleurs, et c’est dans cet ailleurs que j’ai ma maison. »

Luc Balbont

(*) Blog « Rencontres Orientales », lire la  chronique du 22 février 2016 : « Libami, une ruche de tendresse au cœur de Beyrouh »

Photos : Elise Delanoë