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« De quelle famille es-tu ? »
Dans le monde arabe, où l’État est absent, la famille le remplace.
Bien plus qu’un espace de tendresse comme en Europe, elle protège, donne un statut, une position sociale. Au Liban comme dans les pays voisins, que l’on soit chrétien, musulman, druze ou incroyant, on est d’abord d’une famille et d’un village. « De quelle famille es-tu ? De quel village ? » Ces questions, je les ai entendues des milliers de fois.
La famille et le village sont les deux piliers de la société libanaise. Non seulement ils permettent à l’interlocuteur de savoir qui vous êtes, de déterminer votre statut, votre religion. Mais ils sont aussi le refuge face aux difficultés, la sécurité sociale, la caisse de retraite, la certitude de trouver toujours un gîte et une assiette, de l’aide et de la tendresse. Sans la solidarité familiale, le pays n’aurait jamais survécu aux guerres et aux occupations qui le minent depuis 1975.
Mais cette organisation familiale a aussi ses revers. Elle explique pourquoi les Libanais ne parviennent pas à construire une nation souveraine, un pays fort et uni. Elle explique aussi pourquoi des dynasties indéboulonnables mettent en coupe le Proche-Orient. Les Assad en Syrie, les Hussein en Irak.
L’identité est déterminée par le clan.
La famille Khoury, dont je partage la table en est l’exemple. Si cette famille n’a rien de dictatoriale, elle incarne la tribu au sens libanais, plus clairement dit, un état dans l’État, dont la capitale est Bejdarfel, un village chrétien du nord.
C’est là, que chaque dimanche, les Khoury se réunissent dans leur maison familiale, une immense bâtisse en grosse pierres ocres construite par leurs arrières parents. Edmond Khoury, le père, 54 ans, dirige une entreprise de luminaires. Il travaille avec la Syrie, la Jordanie, les Émirats, la Turquie et l’Arménie, car « le Liban, dit-il, est trop petit pour y faire de l’argent. » Ses quatre enfants ont fait des études universitaires.
- Pierre, l’aîné, 30 ans, est ingénieur en électronique. Il a créé avec son cousin germain une société d’informatique.
- Sejan, son frère cadet, 27 ans, est cadre dans une industrie pharmaceutique en Arabie Saoudite.
- Marie, 22 ans termine un « master en business international » à l’université américaine de Beyrouth. Elle rêve d’aller rejoindre ses cousins en Arizona.Mais ce dimanche, les Khoury se retrouvent tous à la maison, pour le baptême de Bassam, le petit dernier de la « tribu », le fils de Séjan et de Thérèse.
L’ambiance est joyeuse, l’arak, le whisky et le vin délient les langues. L’occasion de se retrouver, de resserrer les liens, de se dire qu’on sera toujours là, quoiqu’il arrive, comme on l’a toujours été depuis des générations. Que l’on se retrouvera toujours à Bejdarfel, le berceau de la famille, même lorsqu’on travaille au bout du monde.
Malgré les crises, les guerres, les exils, le sens du clan et du village reste profondément ancré au Liban. C’est le ciment du Liban.