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Rencontre avec Nora Carmi, Palestinienne chrétienne
Invitée fin 2018 par le réseau « Chrétien de la Méditerranée » à Annecy, Haute-Savoie, deux phrases avaient suffi à Nora Carmi pour définir Jérusalem, sa ville natale : « cité bénie ou maudite qui devrait être le symbole de la paix, mais qui ne l’a jamais été » (*1)
Voilà plus de 72 ans que cette Palestinienne chrétienne vit à Jérusalem, une ville qui n’a cessé de marquer l’histoire du monde. Soixante-douze années où elle a traversé trois guerres, vécu l’exil et les occupations anglaise, jordanienne et israélienne, subi l’annexion, la violence, l’injustice, mais selon ses propres mots, côtoyé aussi le divin.
Née en 1947, Nora Carmi, excepté un bref exil forcé au Liban, n’a jamais quitté Jérusalem. « Cette ville, dit-elle c’est mon identité, ma foi, mon histoire. Je peux y rencontrer le voisin, l’étranger, l’ennemi. C’est le berceau des trois religions monothéistes, la voie de tous les possibles, et de tous les rêves.»
Veuve depuis 2011, mère de deux enfants, et grand-mère de deux adolescents, elle a su mener une carrière d’enseignante bien remplie, tout en devenant, au sein de Kairos Palestine ou du Centre de Théologie œcuménique Sabeel, une figure forte de la résistance pacifique, mais résolue, à l’occupation israélienne.
Sa famille arménienne, rescapée du génocide perpétré par l’Empire ottoman, s’est fixée en Terre Sainte en 1916. Pour ces miraculés, Jérusalem était un rêve et le salut. « J’ai hérité de cette foi et de cet amour pour la ville » confie-t-elle.
En mai 1948, une année après sa naissance, elle doit fuir la ville, conquise par l’armée israélienne, lors de la première guerre israélo-arabe. Quand elle y revient en janvier 1950, ses parents, qui ont tout perdu, se réinstallent dans la partie jordanienne de la ville.
Nora Carmi garde un souvenir heureux de ces vingt premières années passées à Jérusalem Est, se remémorant « les ruelles qui sentaient les épices, les clochers des églises qui répondaient aux appels à la prières des mosquées. Un réel bonheur.»
Tout changea après 1967. Lors de la seconde guerre israélo-arabe, dite des « six jours », l’armée juive prend possession de la totalité de Jérusalem, la vieille ville et les lieux saints tombent sous la coupe de l’Etat hébreu. « Je devenais « résidente permanente » (*2) dans une Jérusalem occupée par Israël. » Face aux discriminations, à l’injustice, aux expulsions, Nora Carmi témoigne. Elle donne des conférences dans le monde entier, dénonçant le non-respect des résolutions de l’ONU, mobilisant les ONG internationales afin de les sensibiliser sur la cause palestinienne.
Volontaire, la foi chevillée au corps, rien ne semble la déstabiliser. Ni la montée de l’islamisme politique, ni la droite dure israélienne majoritaire et anti arabe. Et quand le Parlement israélien vote en 2018 la loi fondamentale, qui fait du pays un Etat religieux juif avec Jérusalem pour capitale, elle rétorque que « dès 1948, le but des dirigeants d’Israël était déjà d’exclure les non-juifs de l’état. Et de faire de Jérusalem sa capitale. Je suis Palestinienne et Chrétienne, martèle-t-elle, membre intégral de cette société Palestinienne. Grâce à l’universalité du christianisme, je ne me sens pas exclue ou isolée. Les mouvements de paix et les églises à travers le monde répandent la vérité sur ce qui se passe en Terre Sainte.»
Même l’émigration croissante des chrétiens palestiniens, ne l’effraient pas. Et quand on lui fait remarquer que Jérusalem a perdu la moitié de ses 25000 chrétiens après la guerre de 1967. Elle répond que « ce n’est pas le nombre qui est important mais la qualité du témoignage et la fidélité.»
Quelques soient les difficultés d’y vivre, Nora Carmi ne pourra jamais quitter Jérusalem. Elle y a une mission : contribuer à maintenir la présence chrétienne, garante de tolérance et de paix.
Luc Balbont
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(*1) Jérusalem, au cœur de la Méditerranée. Actes du colloque d’hiver 2018 du réseau « Chrétiens de la Méditerranée » - 150 P. ; 10 euros – Commander à Xavier Godard, 1555 chemin des Saints Pères – 13090 Aix-en-Provence. E-mail x.godard@yahoo.fr
(*2) Ce statut donne droit à une carte d’identité bleue, qui permet aux Palestiniens de Jérusalem, contrairement à ceux des Territoires occupés de pouvoir voyager sans l’autorisations des Israéliens, et de bénéficier de la sécurité sociale, mais ce statut peut être remis en question à tout moment, et n’empêche pas les Palestiniens de subir les discriminations habituelles.
On retrouvera Nora Carmi dans le prochain bulletin de l’Œuvre d’Orient – N°799 de mai- juin 2020