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RENCONTRE AVEC SŒUR NATHALIE BECQUART

Nommée par le Pape François, n°2 du Secrétariat général du Synode des évêques, elle retrouve le Liban 30 ans après.

Nathalie Becquart a tout juste 23 ans lorsqu’elle sort diplômée de HEC. Nous sommes en 1992, et plutôt que de remettre son avenir entre les mains d’un chasseur de tête à l’affût des jeunes élites, elle part l’année suivante au Liban pour une année de volontariat.

C’est dans ce pays aux dix-huit confessions qu’elle décide de devenir religieuse. En 1995, elle entre dans la Congrégation La Xavière, le pendant féminin des Jésuites. Dix ans de formation. Un programme chargé entre la théologie, la philosophie au Centre Sèvres et la sociologie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). Elle étudie ensuite aux Etats-Unis pour se spécialiser en ecclésiologie.

Après plus de dix ans passés à la Conférences des Evêques de France, le Pape François la nomme le 6 février 2021 comme sous-secrétaire du Secrétariat Général du Synode des évêques, une première pour une femme.

Le 13 février 2021, Sr. Becquart, à l’occasion du synode pour la synodalité au Moyen Orient retrouve le Liban, qu’elle avait quitté 30 ans plus tôt. Des retrouvailles pleines d’émotions.

De Rome, où elle réside aujourd’hui, la religieuse livre son regard sur ce pays qui lui tient tant à cœur.

Qu’est-ce qui vous fait tant aimer le Liban ?

 L’année de volontariat que j’ai passé ici a été capitale dans mon parcours. Le Liban sortait de quinze années de guerre civile. J’avais 23 ans, et j’avais terminé mes études à HEC (Hautes Etudes Commerciale). C’est au Liban, que j’ai eu envie de rentrer dans la vie religieuse.

Pourquoi avoir choisi le Liban ?

Durant mes études, grâce à l’aumônier de mon école, j’avais rencontré des Libanais qui avaient grandi dans leur pays en guerre. En les écoutant, j’ai réalisé que j’avais eu une vie protégée. J’ai alors discerné un appel à partir au Liban. A Beyrouth, j’enseignais au Collège Notre-Dame de Nazareth à des jeunes meurtris par la guerre. J’ai alors pris conscience, que tout ce que j’avais reçu, était à redonner à la manière du Christ, en se mettant au service de ceux qui souffrent.

Pour moi qui avais vécu la paix, le sens premier de la vie, était de donner de l’espoir à ceux qui n’avaient pas eu cette chance. C’est le message de la synodalité : agir ensemble dans une dimension œcuménique.

Le Liban reste-t-il le "Pays-Message" comme l’avait qualifié Jean-Paul II ?

 Aujourd’hui, la situation est plus grave qu’il y a 30 ans. Le pays est frappé par une crise politique, et surtout économique. Selon les statistiques, plus de 2 Libanais sur 3 vivent sous le seuil de pauvreté. Les jeunes émigrent, ils quittent le pays pour trouver du travail ailleurs.

Pourtant, malgré cette situation catastrophique, le Liban reste encore le « pays message ». Beaucoup de Libanais ne désarment pas. Avec courage, ils continuent de vivre leur citoyenneté dans la diversité. Il n’y a pas d’avenir possible au Liban sans ce vivre ensemble. Malgré toutes ces catastrophes, les Libanais continuent de porter le message d’une vie possible dans la diversité.

Retrouvailles à Beyrouth après 30 ans avec Sr Magida 

Votre discours n’est-il pas trop optimiste ?

La terrible explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, qui a emporté un tiers de la ville est une preuve. Dès les premiers jours qui ont suivi le drame, les Libanais ont ressenti la volonté de se battre, de s’unir pour faire revivre leur pays. En l’absence totale de l’Etat, des groupes de citoyens, venus de tout le pays, se sont fédérés pour apporter leur soutien, et faire revivre Beyrouth.

Vous avez cité l’émigration chrétienne comme premier problème des chrétiens.

 C’est le sujet majeur des Eglises libanaises. Le phénomène est massif. Il fait craindre un appauvrissement de la présence chrétienne, qui joue un rôle important dans cette région. Pourtant, en regardant de plus près, je constate que dans les pays d’accueil l’apport des Libanais revitalisent les communautés chrétiennes d’Occident. Cela invite à penser l’Eglise autrement, en intégrant ce nouveau paradigme des migrations. Les migrations sont une force nouvelle pour le christianisme.  

Au cours de ce synode, nous avons reçu des délégués responsables de la communauté catholique des Emirats Arabes Unis. A Abu-Dhabi, 99 nationalités de différentes confessions prient tous ensemble dans la même paroisse. Cet œcuménisme montre que la diversité n’est pas un obstacle à l’unité. Il est l’un des points forts de la synodalité. 

Avec une groupe de participants syriens  et libanais

Cette convivialité libanaise n’est-elle pas un leurre entre les trois religions et les dix-huit confessions du pays ?

 Au Liban, comme dans les pays arabes, La solidarité ne touche, la plupart du temps, que les membres d’un même clan. Ce clanisme n’aide pas à la constitution d’une citoyenneté, qui dépasse les divisions confessionnelles et ethniques. La solution ne peut pas venir des élites politiques trop coupées des peuples et n’œuvrant que pour la préservation de leurs intérêts familiaux.

De Rome, comment voit-on les Eglises orientales ?

 On les voit comme un monde complexe, qui demande une réflexion profonde et beaucoup de temps.

Chaque confession chrétienne a son propre fonctionnement, sa propre liturgie, son histoire, sa culture. On a besoin de s’écouter et de se comprendre. C’est tout l’esprit de la synodalité. Il n’y a pas de synodalité sans œcuménisme, et pas d’œcuménisme sans synodalité.

Luc Balbont

  1. A lire : Paroles et réflexions sur la synodalité – Pape François, Mario Grech et Nathalie Becquart- Salvator, 2023
  2. Photo d'en-tête : entre les cardinaux Mario Grech et Jean-Claude Hollerich