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Rencontre avec Waddah Charara, universitaire et écrivain chiite

« Beaucoup de chrétiens semblent avoir renoncé à leur héritage, d’où découlent les grands principes universels de l’Humanité »

Né dans un village du Liban-sud, Waddah Charara a reçu par son grand-père, le cheikh Ali Charara une éducation religieuse. Il a même failli devenir imam comme son aïeul, mais la découverte vers 17 ans de la langue, de la littérature française et des philosophes des lumières l’a écarté de sa vocation initiale. «J’avais des antécédents, ironise-t-il, tout en étant imam chiite formé à Qom (*1), mon grand-père lisait Freud, et Abdelatif, mon père, un nationaliste arabe qui diabolisait l’Occident, avait traduit l’écrivain irlandais George Bernard Shaw. »

Journaliste au quotidien arabophone Al Hayat durant des années, Waddah Charara en a été brutalement écarté, en raison d’une liberté de ton et d’un esprit trop indépendant, qui déplaisait à sa hiérarchie. Toujours actif à 77 ans, il collabore aujourd’hui à « al Modon », un site soutenu par le Palestinien chrétien de nationalité israélienne Azmi Bishara, ex-député arabe  de la Knesseth (*2), réfugié au Qatar depuis 2007, après avoir été visé par les autorités pour « crime contre la sécurité d’Israël ». 

Historien, sociologue, Waddah Charara a longtemps enseigné à l’université libanaise. Ses articles, ses livres, dont celui qu’il écrivit, en 1997, sur le parti religieux chiite pro-iranien du Hezbollah, qu’il stigmatisait comme un état dans l’Etat libanais, font toujours références (*3).

Corps ascétique, cheveux blanc, je retrouve mon ami Waddah au cœur de la capitale libanaise, dans le quartier Hamra, à la terrasse du café« le salon de Beyrouth ». Depuis plus de vingt ans, ses éclairages sur la complexité de la société libanaise et les arcanes de la politique arabe, m’ont maintes fois aidé à décrypter le cours des événements. Un penseur dont la connaissance du christianisme et son apport à l’histoire du Liban, m’ont toujours impressionné.

Selon lui, « beaucoup de chrétiens libanais semblent avoir renoncé à leur héritage, d’où découlent les grands principes universels de l’Humanité. ».Waddah insiste ainsi sur cette spécificité chrétienne « unique dans ce monde arabo-musulman
tribal et clanique, où il faut être fort pour se faire respecter »,
une théologie qui affirme-t-il «  relève de la fraternité, de l’égalité et de la compassion. Une reconnaissance du faible, difficilement acceptable dans cette région du monde, où l’arme est le
symbole de la puissance. 
»

Le dialogue islamo-chrétien, Waddah Charara le définit comme « un conflit assumé » qui permet aux hommes de reconnaître et d’accepter les décalages qui les opposent, pour mieux les dépasser. « Chaque fois, que l’on a refusé de parler des conflits ouvertement, de mettre sur la table les violences anciennes pour éclairer l’histoire, le dialogue a échoué et la guerre a repris. »

En quittant Waddah, je remonte vers la place des Martyrs, la cathédrale Saint-Georges des chrétiens maronites côtoie la grande mosquée, où repose Rafiq Hariri, le Premier ministre libanais assassiné en février 2005. C’est ici, qu’à la même époque, avait convergé des milliers de jeunes Libanais, réclamant le départ des troupes syriennes, avec ce leitmotiv : « ni chrétiens, ni musulmans, Libanais, 100% Libanais ! »

Luc Balbont

(*1) Iran

(*2) Le parlement israélien

(* 3) Paru aux éditions « An Nahar », non traduit en
français.