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Soeur Lumière

Au Proche-Orient vivent aussi des personnalités et des communautés qui travaillent pour édifier un espace de paix et de citoyenneté. 

Au Carmel Saint-Joseph de Mechref, sœur Mariam an-Nour, la religieuse des Lumières.

Beyrouth, 12 octobre 2017. Alors que j’accompagne un groupe de l’Œuvre d’Orient, heureux à l’idée de passer une journée paisible dans le sud Liban, entre découvertes de sites archéologiques et rencontres d’évêques locaux, un arrêt inattendu au lycée du Carmel Saint-Joseph de Mechref vient s’ajouter au programme prévu. Et provoquer une rencontre avec une femme d’exception.

Sœur Mariam an-Nour, qui nous reçoit, dirige l’établissement, situé à 30 km au sud de Beyrouth, depuis 1997.  Plus de 750 élèves, 79% de musulmans (chiites, sunnites et druzes) et 21% de chrétiens (orthodoxes et catholiques) y sont scolarisés. Dans le grand salon où nous prenons place, elle présente le lycée, entourée de son conseil pédagogique. Une dizaine de personnes, religieuses et laïques de toutes confessions. La sœur précise qu’en 1994, lorsque le bail du Carmel Saint-Joseph prend fin, la direction choisit de s’installer dans un « quartier pluriel ». A cette époque, le Liban encore occupé par la Syrie et Israël, sort de quinze années de guerre civile. Un cataclysme où les religions, manipulées et instrumentalisées par des puissances extérieures, se sont férocement affrontées. Si le temps est alors aux replis communautaires, la mixité sociale et religieuse n’est pas négociable pour les sœurs. Le Carmel doit rester à l’écoute de la diversité, richesse première du Liban.

LES MÊMES SOUFFRANCES NOUS RASSEMBLENT

Les paroles qui suivent nous tiendront en haleine de bout en bout. Pas de poncifs, ni de propos complaisant sur « le vivre ensemble » ou sur le « Dieu commun aux trois religions révélées » mais des mots vivants et percutants. Sœur Mariam an-Nour rappelle tout d’abord que les chrétiens d’Orient sont « enracinés dans l’Eglise des Arabes (*) ». Une Eglise, qui, dit-elle, joue « un rôle capital, au moment où la rencontre Orient-Occident est marquée par de nouvelles formes d’affrontements.»   

« Solidaires de nos frères musulmans, ajoute-t-elle, nous vivrons ensemble et nous mourrons ensemble, tant il est vrai que ce sont les mêmes souffrances, qui au-delà de nos différences, nous rassemblent depuis des siècles.» Face aux incompréhensions, elle assure que l’éducation restera toujours l’arme fondamentale.

ARABITÉ, CITOYENNETÉ, UNIVERSEL, SENS DE LA PERSONNE

La religieuse définit ensuite les quatre piliers de la mission éducatrice du lycée :

En premier lieu L’ARABITE, basée sur la langue et l’identité arabes, socles communs du Moyen-Orient et du Maghreb, partagée avec le reste du monde. Au passage, elle affirme « qu’une arabité fermée est un non-sens absolu. »  

Puis LA CITOYENNETE, qui vise à faire des élèves qu’elle accueille, de toutes religions et confessions, des sujets de leur propre histoire, dans la perspective citoyenne d’une laïcité bien comprise.

Vient ensuite L’OUVERTURE A L’UNIVERSEL, mais un universel qui rend possible les différences, et surtout pas celui du plus puissant, qui cherche à imposer sa propre vision, unique, de la mondialisation.

Elle s’étend enfin sur LE SENS DE LA PERSONNE, insistant sur le devoir de faire comprendre à ces jeunes si différents et si semblables, que chaque être humain est unique et irremplaçable. La réussite, glisse-t-elle, ne peut se concevoir que dans « la petite bonté. »

Nour signifie lumière en arabe, et jamais nom ne fut si bien porté. « Femme du ciel », Sœur Mariam an-Nour travaille également à former concrètement une société civile, où la religion trouve sa juste place dans un monde arabe profondément croyant.

Vingt-sept ans après la guerre civile qui a déchiré le pays du Cèdre, et malgré les conflits actuels qui ensanglantent l’Orient, des changements s’opèrent dans la région. Sœur Mariam et son équipe en sont l’exemple. En Orient arabe, les communautés chrétiennes sont des passerelles indispensables.

Le 14 juillet 2017, la carmélite, âgée aujourd’hui de 66 ans, a été élevée au grade de chevalier de la légion d’honneur par le gouvernement français… Le « Nobel de la Réconciliation » lui irait encore mieux. Le jury de la fondation suédoise devrait y penser, en créant ce prix rien que pour elle.

 

Luc Balbont

Photos : Elise Delanoë

(*) Jean Corbon, « L’Eglise des Arabes » - Editions du Cerf, 1977, cité par la religieuse