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Nizar Akleh : « Partir du Liban, Jamais ! »

A peine deux heures de route les sépare. Mais les deux cités ont souvent entretenu des rapports conflictuels.  Zgharta, au nord, profondément chrétienne mais pro arabe plutôt qu’européenne comme Beyrouth, la capitale libanaise, plus au sud, tournée vers l’Occident.

Dominée par les clans, dont la famille Frangieh, Zgharta a traversé des périodes dramatiques, marquées par des affrontements interchrétiens sanglants durant les deux guerres civiles (*1).

Ces dernières années, les mentalités ont changé. L’accès à l’éducation, les réseaux sociaux, les communications plus faciles ont amené, notamment les jeunes générations, à ne plus rester bloqués dans leur environnement et leurs préjugés, à s’ouvrir vers l’extérieur, à rencontrer le monde.

A 33 ans, Nizar Akleh fait partie de ces Libanais qui ont rompu avec le sectarisme des anciens, en s’efforçant de bâtir un pays débarrassé de l’obstacle des clans tribaux et du confessionnalisme. Le parcours d’un homme, qui a repris ses études en candidat libre, et fondé en 2013 une sécurité sociale pour « les précaires », sans poste dans le public ou le privé. Et, lancé, en 2008, un évènement culturel, qui se déroule chaque année, en été, à Ehden, une localité proche de Zgharta.

Corps ascétique tout en longueur, cheveux noués en chignon, lunettes rondes d’intellectuel, Nizar Akleh et son équipe occupent un appartement au 5é étage d’un immeuble moderne. Un espace équipé de standards téléphoniques et d’ordinateurs. Dans son bureau s’étale une bibliothèque imposante : « depuis quelques années, commente-t-il, je ne lis plus que des romans. Ils me permettent de m’évader et de créer un autre monde. J’ai banni les livres politiques. »

«‘Oumal » (*2), la plate-forme qu’il a créé  pour aider les plus fragiles à se soigner, en les mettant en relations avec des médecins et des hôpitaux accessibles à moindre frais, reçoit 3500 appels par jour. Et son festival culturel (*3), programmé chaque été à Edhen où se croisent littérature, poésie, concert, tables rondes, est un véritable succès. Cette année plus de 2600 livres ont été achetés : « Nous sommes partis la première année avec un budget de 20.000 dollars, une somme allouée par la Fondation allemande Friedrich-Ebert. Mais nos ressources varient, selon les années, en fonction des projets que nous menons. Nous fonctionnons avec 250 collaborateurs, dont 25 CDI. »   

Le salaire mensuel de Nizar Akleh s’élève à 250 dollars par mois. Il a beau avoir reçu des offres de l’étranger plus attractives, il ne partira jamais du Liban, « pour émigrer où ? Dans un pays inconnu, où je perdrai ma raison d’exister. Où je quitterais les paysages de mon enfance, mes amis, une partie de mon identité et de ma conscience. » A Zgharta, Nizar se sent utile. « J’ai une mentalité de paysan, dit-il, je sème modestement, pour que les générations à venir puissent récolter et bâtir un Etat de droit, où il n’y a pas besoin d’être fils de ministre, de chef de parti, ou de député pour construire sa vie. »    

Luc Balbont

(*1) 1958 et 1975-1990. Le 13 juin 1978, Tony Frangieh, fils de l’ancien président du Liban, est assassiné avec sa famille par un commando des Forces libanaises.

(*2) « ‘Oumal » les travailleurs en français, en référence aux personnes en situation précaire. Plus de la moitié de la population

(*3) « Liqa as saqafi » rencontre culturelle


 [BL1]