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Grégoire Haddad, un hérétique qui se sent proche de Dieu

Le Père Grégoire Haddad, 89 ans, vit aujourd’hui dans une maison médicalisée de Beyrouth. Ancien évêque grec-catholique (melkite) de Beyrouth, créateur du Mouvement social libanais, « apôtre » de la laïcité, artisan du dialogue islamo-chrétien, ami de l’abbé Pierre et de l’imam Moussa Sadr (*), Mgr Haddad fut dans les années 1960-1970, l’une des personnalités les plus populaires du Liban. Aujourd’hui encore « l’évêque des pauvres » reste l’un des grands hommes de ce pays. Et son œuvre – livres, articles, revues, mouvements associatifs- constitue un fondement important pour la construction du Liban à venir.

Si le corps ne suit plus, si les mots hésitent, les idées restent claires. Au centre médical de  la maison de Marie, le P. Grégoire ne vit pas en reclus. Il continue de recevoir. Sa chambre est encore un lieu de débats et de rencontres. C’est là, dans cet espace de quelques mètres carrés, que se tiennent certaines réunions du « Courant  pour la société civile », une association créée en 1999 par des jeunes Libanais de toutes confessions, un mouvement que le P Grégoire soutient de toutes les forces qui lui restent.

Ici aussi convergent régulièrement des hommes et des femmes, connues ou anonymes, venus écouter le Père analyser la situation du pays, ou chercher simplement un  réconfort moral ou spirituel. L’homme sait transmettre l’espoir et l’énergie, antidotes des périodes de doute, que traverse le Proche-Orient aujourd’hui. Optimiste mais pas naïf, il reste confiant dans la vision d’une société civile libanaise future. C’est à dessein qu’il avait  fondé le « Mouvement social libanais » en 1959 : «  Il n’est pas facile de construire une société ayant des objectifs communs avec 17 confessions, reconnaît le P. Haddad. Chez nous, la plupart des chefs religieux ont peur de perdre leur pouvoir, peur de ne plus maîtriser les esprits, alors ils diabolisent la laïcité, qu’ils assimilent à l’athéisme. Au Liban, chaque communauté est soutenue par un parti politique, voire une puissance extérieure. Aujourd’hui, nous soutenons cette résistance citoyenne. Si les Libanais veulent éviter de nouvelles guerres, ils ne doivent plus vivre repliés sur leurs communautés. » Un principe que l’évêque s’est toujours appliqué à lui-même. Ainsi, quelques mois après la fondation du Mouvement social, il passe la main à un laïc, pour ne pas qu’il soit dit que l’association est noyautée par l’Église grecque-catholique.

Autre domaine fort de son engagement : le dialogue avec les musulmans. En 1962, il rencontre pour la première fois l’imam Moussa Sadr (*), chef religieux chiite iranien, installé au Liban, qui fondera par la suite le « Conseil supérieur chiite libanais », puis le mouvement « Amal ». Moussa Sadr qui a le souci  des défavorisés, est intéressé par les combats sociaux  que mène le P. Haddad : « Je lui ai demandé de faire partie de notre mouvement. Il a accepté, et durant 5 ans, il a assisté à toutes nos réunions. Ensemble, nous allions donner des conférences dans tout le pays. Le seul point de divergence que nous avions portait sur la violence. Moussa Sadr affirmait qu’elle était parfois nécessaire pour affirmer ses droits. Nous au mouvement social, nous étions résolument contre.»

En 1976, le P. Grégoire participe à la première rencontre islamo-chrétienne organisée en Libye : « il n’en ai pas ressorti grand-chose. Tout fut bloqué par des questions théologiques secondaires » se souvient-il, « aujourd’hui encore, on n’avance pas dans ce dialogue. » Et pourtant, regrette le Père, « il faudrait si peu de chose. Juste que chrétiens et musulmans reviennent à l’essentiel pour que le dialogue devienne possible»

Qu’entend-t-il par là ?

« Pour moi l’essentiel est de prendre conscience qu’un Dieu d’amour vit en chacun de nous et pas en dehors.  Dieu ne peut pas se réduire à des questions théologiques et à des mots. Les mots piègent l’homme.

Aujourd’hui, je prie sans mot. Je n’en ai pas besoin pour m’abandonner à Dieu. Je suis sans doute un peu hérétique. Et pourtant je ne me suis jamais senti aussi proche de Dieu. »

Les mots ont du mal à s’articuler, mais l’homme en impose toujours. Pour moi comme pour Salma qui m’accompagne aujourd’hui, Grégoire est l’homme qui a bâti une œuvre de paix colossale, un modèle à suivre pour tout le Proche-Orient. Il aura su transmettre aux générations acruelles la vision d’un Liban où les religions s’harmonisent pour le meilleur. Un visionnaire, dont l’héritage sera toujours présent.

Luc Balbont avec Salma Kojok, d’origine chiite mais libanaise d’abord


(*) Moussa Sadr. Imam chiite né à Qom (Iran) en 1928. Il s’installe au Liban en 1959. Fondateur du « Conseil supérieur chiite » au Liban en 1969, du « Mouvement des déshérités » en 1974 et du mouvement chiite « Amal » en 1975. Il disparaît mystérieusement lors d’un voyage officiel en Libye en 1978. On n’a jamais retrouvé son  corps. L’imam Sadr reste le grand  artisan dans les années soixante, de la reconnaissance de la communauté chiite du Liban