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La famille Bechara, d’une génération à l’autre

Rim Bechara, la cinquantaine joyeuse, tient une boutique de gâteaux et de boissons dans la rue principale de Batroun. C’est un homme rond, un chaleureux, un volubile, un passionné de politique, un amoureux de la vie. Depuis des générations, sa famille fabrique et vend l'une des meilleures limonades du pays. Rim a tout pour être heureux : une femme charmante et trois enfants qui réussissent bien dans leurs études. Charly, son fils aîné, 31 ans, a soutenu avec succès une thèse en énergie nucléaire en France. Le jeune homme s’est marié à Batroun, mais il est reparti vivre à Paris avec son épouse. Il occupe aujourd’hui un poste d’ingénieur au Centre atomique de Saclay. Ce matin, quand je m'installe à sa terrasse pour boire un café, Rim est lointain. D'habitude si jovial, l’homme fait grise mine. Il s’interroge, morose :

  • Son fils reviendra-t-il au Liban ?
  • Pourra-t-il profiter de ses petits enfants ?

« Ce pays compte 17 confessions (*) et autant d'Etats, constate Rim, avec pour chacun un pays étranger qui décide à sa place. Nous Maronites, nous sommes considérés comme les partenaires privilégiés de la France, les orthodoxes sont soutenus par la Russie, les musulmans sunnites par l'Arabie saoudite, une grande partie des druzes marchent avec la Syrie de Bachar et les chiites au sud sont les alliés de l'Iran… Comment pourrions-nous construire un Liban indépendant, citoyen et uni avec des gens qui n’ont pas le moindre sens de la nation et du bien commun ? »

Pour Charly, la situation dont parle son père existe depuis toujours, elle est liée à l’histoire du Liban, à sa création, elle mine le pays depuis toujours. « Mais, tempère-t-il, les jeunes Libanais de ma génération ont appris à vivre avec et à se forger, malgré tout, une identité nationale.»

« Si nous émigrons, poursuit le garçon, c’est que le pays est trop petit, (de la taille d’un département français) et que les places sont d’abord prises par les enfants des vieilles dynasties régnantes, ceux qui appartiennent aux grandes familles. »

Comme un grand nombre de Libanais qui vivent à l‘étranger, le jeune homme a réussi à s’intégrer socialement dans son pays d’accueil. Ingénieur au Centre atomique de Saclay, il a reçu la nationalité française. Les libanais parviennent souvent à se construire des avenirs brillants, loin de chez eux. Charly souhaiterait pourtant revenir travailler dans son pays natal : « j’ai envie de faire profiter mon Liban et ma ville de mon expérience. » Charly est certain que le futur Liban se construira avec la diaspora, chrétienne ou musulmane, qui a acquis dans son exil le sens de la citoyenneté. « Le Liban, dit-il, a traversé tant de drames, mais tel le Phénix, il renait chaque fois plus fort de ses cendres. Ce n’est pas un hasard si nous existons encore. » Les jeunes expatriés restent fortement attachés à leur territoire. Charly est reparti à Paris avec sa femme et ses enfants. Il se sent bien en France, mais le Liban lui manque, « la simplicité des relations, la joie de vivre, l’entourage familial. » Alors, il reviendra à Noël. Il ne pourrait pas fêter la naissance de Jésus ailleurs. Et cet été encore, il reviendra pour les vacances.

(*) Quatre religions (druze, chrétienne, musulmane, ainsi qu'une petite communauté juive de 200 membres environ) et 17 confessions (maronite, grecque-orthodoxe, grecs-catholique, arménienne catholique et orthodoxe, chaldéenne, latine, copte etc… pour les chrétiens  -  Sunnite, chiite, et alaouite pour les musulmans.