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A la rencontre des chrétiens syriens

Deuxième volet d'un récit de voyage en Syrie.

Mercredi 17 août

Je ne partage pas le pessimisme général des chrétiens syriens sur leur avenir dans leur pays. Ce discours noir, que j’entends ici depuis trois jours, annonçant leur fin irrémédiable, oublie l’histoire et ses épisodes tragiques. En 1860, des milliers de chrétiens furent massacrés à Damas, en raison de leur foi (*). « Dans cette guerre actuelle, rappelle un prêtre, rencontré ce matin, ce ne sont pas seulement les chrétiens qui souffrent, mais tous les Syriens. Et ce sont les musulmans chiites que les djihadistes sunnites exécutent, au seul motif de leur appartenance religieuse. »

Outre la préservation de la diversité, richesse du monde arabe et de la Syrie, la présence chrétienne est prépondérante dans deux secteurs : l’éducation (j’y reviendrai), et la santé. A Rhabab, au sud, non loin de la frontière jordanienne, l’Église grecque-catholique construit depuis 2007 un hôpital ultra-moderne. Coût de l’opération : 1 million de dollars. Bâtir un hôpital dans une région en guerre, avec une ligne de front située à moins de 25 km, est un signe d’espérance fort. Il montre que l’Eglise syrienne tient encore sa place. Terminé, l’établissement profitera aux habitants de toute une province, et pas seulement aux chrétiens.  Mais le projet, est controversé. Au sein de la communauté melkite, les uns le trouvent « trop coûteux » pour une Eglise grecque-catholique, que l’on dit endettée. D’autres dénoncent son implantation à Rhabab, le village de la famille maternelle du Patriarche. Soupçonné de népotisme, sous les feux de la critique, Grégoire III se justifie. « Les reproches sont infondés, il n’y a aucune malversation, et personne ne s’est enrichi dans ma famille. Venez voir où et comment ils vivent !”

[caption id="attachment_764" align="alignleft" width="640"]Patriarche Grégoire III devant "son" hôpital de Rhabab (sud de la Syrie). Patriarche Grégoire III devant "son" hôpital de Rhabab (sud de la Syrie).[/caption]

C’est justement chez les Kreit, la famille maternelle de Grégoire, que nous déjeunons ce midi. Les deux frères, cousins de sa Béatitude, habitent avec leur famille respective, deux maisons toutes simples, construites de plain-pied sur un même terrain. Un repas convivial et joyeux, durant lequel le Patriarche évoque son enfance : « A l’époque, comme tous les enfants du village, je me levais tôt le matin, pour aller travailler dans les champs. »

[caption id="attachment_761" align="alignleft" width="640"]La famille Kreit, chrétiens de Rhabab (sud de la Syrie) La famille Kreit, chrétiens de Rhabab (sud de la Syrie)[/caption]

A table, très vite, la conversation en arrive à la guerre. Comme la plupart des chrétiens, les Kreit craignent les changements. Même les combattants de l’Armée Syrienne Libre, qualifiés pourtant de « laïcs » par la presse Occidentale, ne trouvent pas grâce à leurs yeux. « Ils n’ont aucun projet pour le pays. Bachar était sans aucun doute mal entouré. Il fallait des réformes, le président avait commencé à les entreprendre, mais les révolutionnaires ont tout cassé », affirme l’un des convives, approuvé par toute la table. Un autre invité assure que : « les islamistes sont postés à 20 km de là, et qu’ils passent clandestinement la ligne de front pour vendre aux habitants les produits de leurs rapines, et même des femmes », ajoute l’homme avec aplomb. Réalité...fantasme?

Jeudi 18 août

Cette nuit encore, on s’est battu autour de Damas. De la fenêtre de ma chambre, qui reste ouverte à cause de la canicule, j’ai entendu de nombreuses explosions, chutes d’obus, tirs de mortier et d’armes légères. Et pourtant les Damascènes ont une incroyable envie de vivre. Dès le début de la soirée, les nombreux cafés de la vieille ville se remplissent de gens, qui viennent boire entre amis, pour oublier la fureur quotidienne. Chaque mois, de nouveaux bars sont ouverts. Les commerçants transforment leurs boutiques en débit de boissons plus rentables, et les chrétiens ne sont pas les derniers à consommer.

Sur la Via Recta, la rue Moustaqil pour les musulmans qui conduit de la Porte orientale au Soukh Hamidiyyé, je croise Georges, un chrétien orthodoxe. L’homme ne décolère pas. Il en veut à ces Occidentaux, qui protestent au nom des Droits de l’Homme contre la Russie qui bombardent les djihadistes de Daech, à partir de l’Iran. « Quand les Américains détruisaient l’Irak, la presse occidentale était moins virulente », explose-t-il. J’ai beau lui rétorquer que son point de vue mérite une analyse plus approfondie, il n’en démord pas. Notre discussion se poursuit devant le patriarcat grec-orthodoxe.

Je continue ma route en solitaire jusqu’au point de contrôle de Bab-Touma. De là, je me dirige vers la grande mosquée des Omeyyades, pour m’y reposer. Autour du reliquaire de Saint-Jean le Baptiste, je fais la connaissance de Madyan, un jeune musulman de Homs, qu’il a dû quitter à cause des bombardements. Nous multiplions les allers et retours, pieds nus, d’un bout à l’autre de la mosquée. Madyan, 25 ans, est polyglotte. Il me parle en français, je lui réponds en arabe, ainsi « nous ferons des progrès », me dit le garçon. Passionné de théâtre, il viendra en France en novembre prochain, pour étudier l’art dramatique. Madyan, qui veut devenir comédien, incarne l’ouverture des jeunes générations musulmanes à la modernité, informé sur le monde et branché sur les réseaux sociaux.

[caption id="attachment_762" align="alignleft" width="480"]Mosquée des Ommayades - Mausolée de Saint-Jean Baptiste. Mosquée des Ommayades - Mausolée de Saint-Jean Baptiste.[/caption]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[caption id="attachment_763" align="alignleft" width="480"]Madyan, jeune musulman rencontré à la mosquée des Omeyyades. Madyan, jeune musulman rencontré à la mosquée des Omeyyades.[/caption]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chez Baghdach, le café réputé pour ses glaces, j’engage la conversation avec un Afghan Azara (chiite aux traits mongolisés) et un chiite irakien. Les deux hommes sont venus rejoindre l’armée syrienne au nom de la solidarité chiite, pour combattre Daech et les groupes djihadistes sunnites. Ils refusent d’être pris en photo. Dommage !

[caption id="attachment_765" align="alignleft" width="480"]La brasserie Baghdach. La brasserie Baghdach.[/caption]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je reviens vers le patriarcat en empruntant des petites ruelles. J’adore ce Damas, tellement plus authentique que la Jérusalem d’aujourd’hui.

Vendredi 19 août

10 heures :  dans son bureau patriarcal, Grégoire III évoque l’émigration.  « Pour moi, c’est le problème majeur. La guerre finira bien un jour, il nous faudra alors rebâtir. Avec qui ? Les jeunes et les élites ont pris le chemin de l’exil… » Les chrétiens n’échappent pas au fléau. « Nous étions environ 1,7 million avant la guerre, en 2011, poursuit Sa Béatitude. Combien sommes-nous aujourd’hui ? Je ne peux pas le dire ! Mais selon mes statistiques, 500 000 fidèles se sont déplacés dans le pays. Parmi eux, beaucoup sont partis à l’étranger. Malgré tout, durant la semaine sainte, nos églises sont presque pleines, presque chaque jour. C’est un miracle ! Le miracle de la présence chrétienne en Syrie. »

Le Patriarche enchaîne sur la réconciliation. « L’autre difficulté du pays, dit-il.  Il n’y aura pas de paix sans cette réconciliation entre les communautés, et entre les pro et les anti régime. Mais plus la guerre durera, plus ce sera difficile. »

Puis Grégoire se penche sur la défense des chrétiens.  « S’il y a un terme que je ne supporte pas, c’est celui de « défense des chrétiens ».  Les associations européennes l’emploient souvent à tort. Il faut que l’Occident comprenne que ce terme aboutit à la ghettoïsation. Je préfère parler de la présence des chrétiens, qui incite au vivre ensemble, et à la construction d’une citoyenneté commune. »

Sur la citoyenneté, le Patriarche précise qu’une citoyenneté syrienne doit absolument prendre en compte les religions. “En Orient, les gens sont croyants. Dieu fait partie de la vie des communautés, chrétiennes comme musulmanes.  Exclure les religions en Orient, c’est créer l’extrémisme. »

16 heures : Mariage à la cathédrale melkite. Les femmes sont d’une élégance raffinée, féminines de la tête aux doigts de pied. Talons hauts, robes courtes, légères, qui mettent leurs formes en évidence. Maquillées, coiffées avec recherche. Un véritable concours de beautés. Parmi les invités, une dizaine de femmes musulmanes en hijab, et manteaux fermés jusqu’au cou, souriantes et à l’aise. Personne n’y prête attention, pas un regard de surprise, d’hostilité ou de mépris. Légères ou islamiques, les tenues féminines cohabitent ici, sans déchaîner les passions.

[caption id="attachment_759" align="alignleft" width="640"]Mariage chrétien à Damas Mariage chrétien à Damas[/caption]

 

 

 

 

IMG_3052 (1)L.B

(*) Du 9 au 18 juillet 1860, entre cinq et six mille chrétiens sont tuées à Damas par des musulmans, prolongement d’une guerre commencée au Liban voisin.

Prochain article le 9 septembre.