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Le message de l’Église maronite aux dirigeants : « Ne décevez plus les espoirs du peuple libanais»
Le 18 octobre 2019, au lendemain de la révolte du peuple libanais contre ses dirigeants corrompus, le patriarche maronite Béchara Raï prend ouvertement le parti des manifestants. Dans une homélie prononcée en la cathédrale Notre-Dame du Liban d’Ibadan, au Nigéria, où il est en visite pastorale, le cardinal affirme devant les fidèles de la communauté libanaise expatriée : « J’ai la gorge serrée devant les évènements qui se passent au Liban. Notre peuple est victime d’une mauvaise politique qui l’a conduit à la faim, alors que de nouveaux impôts l’épuisent. Notre peuple proteste contre la dilapidation de l’argent public, et contre les atteintes à sa dignité qui l’asservissent. » Des paroles de colère inhabituelles chez le chef de l’Église maronite.
Durant les semaines suivantes, dans son patriarcat de Bkerké, le cardinal persiste. Dans chacune de ses homélies dominicales, il légitime les actions de la rue, appelant le pouvoir et les chefs de clans « à ne pas décevoir une nouvelle fois les espoirs du peuple », « à ne pas mépriser le soulèvement, » et dénonçant sans détour « l’insupportable manque de courage des décideurs politiques qui veulent continuer à se partager le gâteau. » Il met aussi en garde les manifestants contre les tentatives de récupération, qui pourraient dénaturer leurs revendications.
Forte de son statut de communauté chrétienne majoritaire au Liban (20% de la population), et de son autorité, l’Église maronite a rassemblé le 23 octobre dernier, tous les chefs religieux du pays à Bkerké, pour analyser la situation. A l’exception des autorités musulmanes chiites, hostiles ou méfiantes envers la révolte, dans laquelle elles voient un complot étranger, destiné à déstabiliser le chiisme et l‘Iran, toutes les communautés ont répondu à l’appel. Clergé chrétien (catholiques, orthodoxes, évangéliques) mais également les plus hauts responsables musulmans (sunnites et druzes) se sont retrouvés pour saluer la contestation et demander à l’État de répondre positivement aux revendications du peuple. Les responsables religieux ont toutefois invité les initiateurs du mouvement à entamer rapidement des négociations avec le pouvoir, pour ne pas mener le pays au chaos, et appauvrir davantage une population au bord de l’asphyxie.
Dernière initiative remarquée : le 8 janvier dernier, l’Assemblée mensuelle des évêques maronites a demandé à l’État de ne plus laisser les Libanais à la merci des banques. Depuis le début de la crise, ces dernières limitent au minimum les retraits d’argent, obligeant les particuliers et les entreprises à survivre avec le strict nécessaire.
Souvent remise en cause, et jugée trop loin des problèmes quotidiens, non seulement par la jeune génération de fidèles, qui, tout en conservant la foi, se détache peu à peu de l’institution. Mais aussi par les paroissiens des régions pauvres, souvent gênés par les habitudes de vie plutôt aisées d’une partie de sa hiérarchie, l’Église maronite semble retrouver avec la révolte du 17 octobre le sens premier de sa mission : être proche et à l’écoute des plus pauvres. D’autant qu’avec la crise qui s’annonce au Liban, son rôle sera de plus en plus prépondérant.
Luc Balbont