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Soutien de famille à 12 ans
A l’âge des jeux et de l’école, des millions d’enfants dans le monde doivent travailler pour aider leurs familles. Au Liban, le nombre de ces mineurs ne cesse d’augmenter.
Sur l’autoroute Beyrouth-Tripoli, pare choc contre pare choc voitures, camions, bus roulent au pas, mètre par mètre : scène habituelle dans la capitale libanaise entre 6 heures du matin et midi.
Dans ce gigantesque embouteillage, un enfant apparaît et frappe au carreau d’un véhicule. Il propose des briquets, des chewing-gums, des éponges et des ustensiles de cuisine. Dans sa main droite, il tient un choix de coussins colorés, rangés dans un emballage transparent (photo). Âgé d’une douzaine d’années, il slalome entre les véhicules. Plus loin tout un groupe d’adolescents vendent, comme lui, à la sauvette.
Dès que les conducteurs marquent le pas, le même scénario se reproduit. En plein soleil, habillés de vêtements usés, des gamins passent une grande partie de la matinée à courir de chauffeur en chauffeur. Des réfugiés syriens pour la plupart, issus de familles qui ont fui la violence et la pauvreté, et qui attendent au Liban, en rêvant de gagner l’Europe avec leurs parents. Beaucoup logent sur des terrains vagues. Des espaces décharnés, où se dressent côte à côte baraques en planches de bois et toiles de tentes.
C’est dans l’un de ces camps informels que vit Oussama, 15 ans. Un espace sans fenêtre et sans eau, où se presse deux familles, et huit enfants. Malade, le père ne travaille plus. Aîné du clan, Oussama « se loue à la journée » pour défricher les champs et nettoyer les jardins privés. Ses gains sont indispensables pour aider sa famille. Comme lui, ils sont des centaines de mineurs, contraints de travailler, à un âge où on joue et où on va à l’école.
Walid, son voisin, se lève chaque jour aux aurores, pour fouiller les poubelles, traînant derrière lui un grand sac de matières recyclables, bouteilles en plastique, cartons d’emballage, ferrailles, qu’il revend à un spécialiste du retraitement. « A 12 ans à peine, il est déjà, comme beaucoup, soutien de famille. A la maison, sa mère compte sur lui. » explique le docteur Caracache, président-fondateur d’un centre d’accueil pour enfants des rues. (Lire note en bas de page)
« J’ai vu des gosses employés du matin au soir, dans un supermarket de mon quartier, décharger des camions de marchandises. Beaucoup travaillent aussi dans des garages » confie Bertrand Steiner, un religieux des Petits Frères de Jésus qui vit au Liban depuis 1984.
Au nord, dans la plaine de la Bekaa, une vingtaine de tentes s’étendent sur un terrain loué par des familles syriennes. Ici, l’association al Insaan a aménagé une école, (photo ci-dessous). Un baraquement sans tables, ni chaise, avec juste un tableau, où un instituteur calligraphie lettres et mots, que répètent une quinzaine de jeunes filles, assises à même le sol. Beaucoup n’ont pas quinze ans. « Elles viennent à l’école durant la saison hivernale, mais dès les beaux jours, elles vont travailler avec leurs mères dans des exploitations agricoles environnantes. Sans cette école improvisée, ces filles seraient confinées. Les écoles publique, gratuites, ferment les unes après les autres, et les établissements privés restent inaccessibles pour les réfugiés, » explique Nisrine, l’assistante sociale d’Insaan. Une situation dramatique qui engendre frustrations et jalousies entre Libanais et exilés. Les premiers reprochant aux instances internationales, l’ONU notamment, d’aider les réfugiés, alors qu’eux n’ont droit à rien (*1).
Il n’existe aucune statistique officielle au Liban sur ces mineurs sans jeunesse. « Mais ce qui est sûr, c’est que leur nombre continuera d’augmenter dans ces situations de guerre en Syrie et de crise économique au Liban, » déplore Bertrand Schneider … Selon un communiqué de l’Unicef, le Fonds des Nations-Unies pour l’enfance, 160 millions d’enfants (*2) dans le monde sont aujourd’hui contraints de travailler.
Luc Balbont
Les témoignages recueillis pour cette chronique proviennent d’entretiens réalisés avec Nohad Azzi, association Libami, Robert Caracache, association Beyt al-nour, Nisrine Debyan et Bertrand Schneider, association Al Insaan
(*1) Je reviendrai prochainement sur ce problème dans une prochaine chronique
(*2) communiqué du 12 juin 2022