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GAZA : Oublier la mort ! Pour construire quelle paix ?

Sur le faire-part de deuil (*1), deux portraits, et cette phrase en arabe, sous une statue de la Vierge Marie : « Béni soit celui que tu as choisi et accepté, oh Seigneur, pour demeurer éternellement dans ta maison. » A gauche Naïda, 68 ans ; à droite sa fille Samar, 40 ans. Palestiniennes, chrétiennes, souriantes et rayonnantes de vie …

Le 12 janvier 2024, dans l’Eglise latine de la Sainte famille, la seule église catholique de Gaza, où elle s’était réfugiée dès le début de l’offensive de l’armée israélienne d’octobre 2023, Naïda sort du bâtiment pour aller aux toilettes, qui se trouvent à l’extérieur. Elle ouvre la porte, sur le chemin, un tir la blesse. Elle hurle. Entendant ses appels, Samar, sa fille, se précipite au-dehors pour la secourir. Le snipper la tue net, et achève sa mère. 

A l’extérieur, la nouvelle de la mort de Naïda et Samar fait aussitôt le tour de la communauté latine. Pour honorer leur mémoire, le prêtre célèbre deux messes. La première, peu après le drame, l’autre quarante jours après le décès comme le veut la tradition. Les églises sont pleines à craquer.

Le 10 juin 2024, cinq mois plus tard, dans le camp palestinien de Dbayyeh, à la sortie de Beyrouth, seul camp libanais où vivent des familles palestiniennes chrétiennes réfugiées de 1948, Saada la nièce de Naïda, Elias son frère et sa sœur Melvina me racontent la dramatique histoire de leurs parentes. Leur version concorde en tous points. Nadine, la fille de Melvina 38 ans, native de Dbayyeh, me confie des photos du cimetière chrétien de Gaza où reposent les deux martyres.

Dans la petite maison du camp où il loge, Elias affirme, que même si les deux familles ne se voyaient plus depuis plus de 15 ans, le contact était permanent. Les Palestiniens du Liban, de Syrie, de Jordanie, d’Irak et d’ailleurs sont reliés à Gaza et à la Palestine, particulièrement en ce moment. La mort de ces deux femmes, qui n’ont pourtant jamais combattu, les fédèrent plus étroitement encore. Assis sur son canapé-lit, Elias, qui vient de témoigner se demande : « Quel sera l’état d’esprit de ces jeunes gazaouis qui vivent chaque jour l’injustice et les privations ? » …Silencieux, regard vide … Comment oublier la mort de ses proches,  et pour construire quelle paix ?

Luc Balbont

(*1) voir la photo d’ouverture

Un grand merci aux trois religieuses du camp palestinien de Dbayyeh, Sr Magda, Sr Martine et Sr Cécilia qui m’ont organisé les rendez-vous avec les familles.