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La juge Ghada AOUN, la hantise des corrompus
« Sans la foi, je n’aurai jamais tenu »
Début septembre 2025, Paris annonçait qu’il ouvrait une enquête sur Najib Mikati. L’ex Premier ministre libanais était soupçonné de s'être constitué un important patrimoine de "biens mal acquis". « La justice française me redonne de l’espoir, réagissais aussitôt la juge Ghada Aoun (*1). S’ils sont protégés au Liban, les corrompus sont plus exposés en France. Mon travail connaîtra peut-être une heureuse issue. Je me suis sentie parfois abandonnée comme Jésus sur la Croix, mais j’ai très vite repris le dessus. Jésus c’est pour moi, l’ami certain et fidèle, quand toutes vos connaissances sur qui vous comptiez trouver du réconfort, vous tournent le dos. »
Procureure générale du Mont-Liban jusqu’en mars 2025, Ghada Aoun s’est battue avec acharnement pour une justice libanaise propre et indépendante, débarrassée des pressions politiques qui la paralyse. S’attaquant à la corruption, le cancer du Liban, la juge libanaise n’a eu de cesse de défier des politiciens verreux, des hommes d’affaires immoraux, et des établissements bancaires.

Traitée « d’incompétente et d’irresponsable », par des adversaires aux moyens conséquents, mais soutenue par une majorité de libanais et des institutions internationales comme la Banque mondiale, elle a tenu, grâce à ses capacités professionnelles et à sa foi en Jésus. Aujourd’hui en retraite, elle continue d’œuvrer pour une justice libanaise libre.
« Dans ce pays, martèle la juge, on poursuit des présumés coupables, mais jamais les vrais responsables. » Ses propos, et ses enquêtes dérangeantes lui ont valu des attaques incessantes de la part de ces personnalités, qui n’ont eu de cesse que d’entraver son travail, et de la faire passer pour une « incapable », en utilisant une armée d’avocats renommés, un réseau relationnel influent et d’importantes capacités financières.
« C’est la Foi qui m’a fait tenir. J’ai prié pour ne pas perdre la paix »
Comment cette femme a pu résister à ces attaques multiples, traitée de « menteuse », de « folle » et de termes plus injurieux encore. Quand on lui pose cette question, sa réponse est directe : « c’est la Foi qui m’a fait tenir. Depuis l’âge de 18 ans, j’ai noué une relation personnelle avec Jésus. Dans ces épreuves, j’ai souvent prié pour ne pas perdre la paix. »
C’est à son domicile, sur les hauteurs du quartier beyrouthin d’Achrafieh que notre rencontre à eu lieu. Mme Aoun a pris son temps pour accepter. Elle partait en retraite spirituelle, un temps de prière nécessaire pour se ressourcer dans le silence. Elle se méfiait aussi de cette presse qui avait si souvent déformé ses propos.

La juge habite un appartement lumineux, mais sans faste. Pas de domestique, pas de garde du corps pour filtrer les entrées, pas d’œuvre d’art et de tableaux de maître accrochés aux murs, juste une photo de ses parents. Rien à voir avec ces résidences luxueuses de la grande bourgeoisie locale.
Verbe clair, français parfait, Ghada Aoun transmet une énergie chaleureuse. Un regard franc, expressif, un visage sans maquillage, sans apprêt, « mes adversaires, confie-t-elle, m’ont souvent reproché ma tenue trop simple, qui selon eux, ne correspondait pas à ma fonction officielle. » A la cuisine, elle s’efface un moment, pour préparer elle-même un café libanais.
Blessée profondément par ces épreuves endurées à partir de sa nomination en 2017 de procureure générale du Mont- Liban : « J’en veux surtout à ces juges qui oubliaient leur devoir et leur serment d’impartialité, dit-elle. Les autres étaient seulement manipulés. Quand j’ai commencé à ouvrir les dossiers suite à des plaintes qui m’avaient été envoyées, j’étais loin de m’imaginer le degré de corruption où notre pays était tombé. Et combien les Libanais étaient victimes de ce fléau. » Dans ces affaires, le directeur de la Banque du Liban Riad Salamé, ainsi que l’ancien premier ministre libanais, Najib Mikati sont visés par des blanchiments d’argent et des affaires sulfureuses, mais bénéficiant de protections politiques, ils s’en prennent à la juge par médias interposés, en organisant des campagnes violentes mettant en doute sa probité. Ils l’accusent notamment de favoriser le clan du général Michel Aoun, l’ancien président de la République libanaise, en refusant d’ouvrir des dossiers à son encontre. « C’est totalement faux, rectifie-t-elle, ils ont eu beau fouiller et retourner les archives dans tous les sens, ils n’ont trouvé aucune preuve. Si j’ai aimé le courage du général Aoun qui combattait pour un Liban libanais dans les années 1980-1990, et qui a dû s’exiler durant 15 années en France pour éviter sans doute le pire, si j’ai prié pour lui, je ne l’ai aucunement favorisé. J’ai même instruit des dossiers contre ses proches et son parti. Mes prières ainsi que les soutiens des instances financières internationales, m’ont aidé à ne pas sombrer, confie Ghada Aoun. »
L’entêtement de la juge lui vaut des campagnes d’hostilité féroces, à partir de 2022. Le système entend la révoquer. Les coups bas pleuvent. Les sanctions disciplinaires s’accumulent. Le clan des puissants réclame sa tête. Une tentative de destitution est lancée contre elle en 2023. Tenace elle tient tête, s’obstine, ne baisse pas les bras : « les dossiers qu’ils avaient monté contre moi était totalement vide. » L’affaire est close. Les accusations ne tiennent pas. Le 1er mars 2025, elle a 68 ans, c’est l’âge de la retraite. Les jours qui suivent son départ, elle signe un message lumineux sur les réseaux sociaux : « Quarante ans de lutte pour la justice ne s’éteignent pas avec une retraite. Le combat continue dans nos cœurs. Je n’ai jamais perdu l’espérance. »
Ghada Aoun mène aujourd’hui une vie paisible. « Je n’ai certes pas la puissance financière et le réseau relationnel de mes adversaires, mais j’ai le désir de voir naître, plus que tout, une justice libanaise équitable et non corrompue. » Pour elle, le combat continue.
L.B
(*1) Lire l’article de Luc Balbont sur le site de l’Eglise suisse cath.ch publié le 2septembre 2025.