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Les réfugiés, le Pape François et les chrétiens d’Orient
Le chiffre est impressionnant : 1,5 million de réfugiés syriens vivent au Liban. Une statistique officieuse avance même un nombre qui avoisinerait les 2 millions, en tenant compte des milliers d’Irakiens, de Palestiniens, d’Égyptiens, d’Africains, ainsi qu’une grande partie des nouveaux arrivants, qui évitent de s’enregistrer au HCR (*1), lorsqu’ils passent la frontière. Entre 30% et 40% d’étrangers sur une population totale d’environ 5 millions d’habitants. Imaginons la France dans la même situation ? Si les Libanais se sentent envahis; si dans les lieux publics les propos sont souvent violents à l’encontre des migrants, notamment des Syriens qui ont occupé leur pays durant 29 ans, la situation, exceptés quelques incidents, n’explose pas.
Un miracle ? La raison est plus rationnelle. Au Liban, une jeunesse, responsable et éduquée, devenue méfiante à l’égard du monde politique s’engage, quand elle n’émigre pas, dans le réseau associatif, le « harakat madaniya » ou mouvement citoyen. L’ancien député Samir Frangieh (*2), penseur du « vivre ensemble », répète ainsi régulièrement sa certitude de voir émerger et grandir une société libanaise civile, avec des objectifs communs, dépouillée de ses réflexes communautaires séculaires : « Notre jeunesse, constate M. Frangieh, a pris ses distances avec les vieux partis politiques, embourbés dans des débats stériles, et des intérêts personnels, pour s’engager pleinement dans le mouvement civil. Des associations naissent, et sur les réseaux sociaux, les débats fleurissent : l’éducation, l’environnement, le droit des femmes, la santé, même la sexualité, sujet auparavant tabou dans le monde arabe, est aujourd’hui abordée. »
[caption id="attachment_662" align="alignleft" width="3264"] Samir Frangieh[/caption]
Des associations qui viennent aussi en aide aux réfugiés, informant le public, désamorçant la violence et les fantasmes, accueillant les familles migrantes, et prenant en charge l’éducation de leurs enfants. C’est en partie grâce à leur travail, que le Liban, grand comme un département français, 10 400 km2 (la superficie de la Gironde), semble mieux gérer les flux migratoires, qu’un continent comme l’Europe qui montre ses limites en la matière.
L'association Insan
« Au Pays des dix-sept confessions », le mouvement associatif humanitaire remplace aujourd’hui, en grande partie, un État moribond. Sur le dossier des migrants, Insan créée en 1998 en est l’exemple type. Depuis 17 ans, la raison d’être de cette association est de venir en aide aux réfugiés et aux travailleurs migrants, ceux qui fuient la guerre comme les Irakiens et les Syriens, ou la pauvreté comme les Africains et les Asiatiques (*3) pour venir se réfugier au Liban, en attendant l’opportunité de pouvoir passer en Europe, en Australie ou aux États-Unis, pour une partie d’entre eux. « Nous les aidons à se loger, à obtenir un statut légal, à trouver du travail, et surtout à donner à leurs enfants un éducation de qualité », explique Charles Nasrallah, le directeur d’Insan.
[caption id="attachment_663" align="alignleft" width="960"] Charles Nasrallah, Directeur d'Insan[/caption]
Par leur nombre, les Syriens, chassés par la guerre civile qui frappe leur pays depuis 2011, constituent le plus gros contingent : 1,5 million de réfugiés recensés par l’Organisation des Nations Unis (ONU), dont « près de 400 000 enfants mineurs, précise M.Nasarallah, qui n’ont pas tous la chance d’être scolarisés, et restent fortement exposés aux violences de la rue, et aux appels des recruteurs djihadistes. »
[caption id="attachment_655" align="alignnone" width="480"] Une maman irakienne avec son enfant à la messe à Zghorta (Liban)[/caption]
L’école serait le moyen de sortir ces enfants de l’enfer, et de les réinsérer dans une vie normale. Mais devant l’explosion du nombre d’émigrés syriens, et l’angoisse des Libanais face à la contamination djihadiste, susceptible d’être importée par ces migrants non désirés, les directeurs des écoles publiques sont de plus en plus réticents à admettre ces petits réfugiés dans leurs établissements, arguant qu’ils ont un niveau insuffisant qui ralenti la progression des autres élèves. Beaucoup d’enfants errent ainsi, désœuvrés, dans les rues...
[caption id="attachment_656" align="alignleft" width="640"] Enfants syriens scolarisés par l'association Offre-joie au Liban[/caption]
Un vrai casse-tête que ce problème des migrants, où les gestes les plus humains, qui appellent à vivre l’Évangile, sont souvent interprétés comme des actions négatives par ceux frappés de plein fouet par la violence actuelle, tels ces chrétiens des pays arabes. Le 15 avril, le pape François a ramené au Vatican trois familles de réfugiés musulmans syriens (12 personnes au total) de l’île grecque de Lesbos (Grèce), où il était allé apporter son soutien. Du Liban, Mgr Georges Casmoussa, ancien archevêque syriaque catholique de la ville irakienne de Mossoul, occupée aujourd’hui par les djihadistes de Daech, qui en ont chassé tous les chrétiens, m’écrit : « Luc, vous me demandez comment les chrétiens d’Orient ont vu le geste du Pape Francois : très mal. Franchement, la diplomatie vaticane au Moyen-Orient a besoin de conseillers compétents, qui doivent tenir compte de la sensibilité des chrétiens orientaux (au mieux tolérés depuis des siècles dans les pays musulmans). Avec tout le respect filial et l'attachement profond que nous avons à l'égard de notre Saint-Père le Pape Francois et de ses gestes symboliques et éloquents, nous aurions mieux apprécié s'il y avait eu une famille yézidie, une famille chrétienne et une famille musulmane, dans l’avion pontifical. »… L’Occident est souvent trop simpliste quand il s’agit de l’Orient.
Luc Balbont
(*1) Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU
(*2) Voir la chronique de ce blog du 14/01/2014
(*3) Éthiopiens, Érythréens, Soudanais, Sri-Lankais, Philippins etc … Selon le fondateur d’Insan, ils seraient plus de 300 000 travailleurs migrants, employés pour la plupart dans des travaux ménagers ou de voirie.