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Irak - Zidane et Zyad, deux yazidis en pays breton
Le 3 août 2014, Zidane et Zyad Smoqe fuient les montagnes de Sinjar, au nord-ouest de l’Irak, pourchassés par les combattants de l’Etat islamique (E.I), nouveau maître de la région. Appartenant à la minorité Yazidie (*1), ils se réfugient au Kurdistan irakien, pour ne pas être tués ou capturés.
Pour l’E.I, ces Yazidis sont des adorateurs du diable, des « idolâtres », des incroyants qui prient « leur dieu » tournés vers le soleil. Leur religion doit disparaître, leurs hommes exécutés, leurs enfants convertis de force à l’islam, et enrôlés dans les rangs des combattants djihadistes, leurs femmes vendues comme esclaves.
Réchappée du massacre, la famille Smoqe et leurs neuf enfants s’entassent alors dans un camp de déplacés à Dehuk, près d’Erbil, sous contrôle kurde. Zidane et Zyad restent onze mois dans cet espace de misère, avant d’obtenir, en juillet 2015, un visa pour la France. Arès un passage à Forbach (Moselle), ils atterrissent à Vitré, en Bretagne.
Dans la petite cité d’Ile-et-Vilaine, une équipe de bénévoles de la paroisse Notre-Dame et de l’Eglise évangélique de la ville se mobilisent pour accueillir les deux garçons. Répondant à l’appel du Pape François qui invite les familles d’Europe à recevoir des réfugiés menacés par les guerres arabes, le groupe fonde, le 1er juin 2015, l’association APUI (Aimer, Partager, Unir les Initiatives). Le 7 février 2016, tout est fin prêt. Zidane, 23 ans et Zyad, son cadet d’un an entament leur nouvelle vie.
Un médecin les héberge quelques mois. Dans le même temps, Jean-Pierre Masclet, ancien directeur d’un centre de réinsertion, aidé de Lucie Rupin, co-responsable d’APUI et d’Anne-Marie Gardes, secrétaire de l’association, monte le dossier d’insertion : titre de séjour, couverture médicale, inscription à pôle-emploi, cours de français, épicerie solidaire, recherche de logement. Dans le cadre de l’opération « garantie-jeune », la mission locale leur alloue, après plusieurs mois d’attente, une allocation mensuelle. En échange, Zidane et Zyad suivent une formation, effectuent des stages en entreprises, et accomplissent divers travaux temporaires.
A Vitré, les deux frères se tissent rapidement un réseau d’amis. Ils participent à la vie locale. Le message passe avec le Vitréens. « C’est un bonheur de les recevoir, confie Lucie Rupin, ils sont prévenant, attentifs. » Anne-Marie Garde, la secrétaire d’Apui, explique aussi qu’elle a découvert, grâce à eu « cette religion yazidie si différente de l’islam. » Pour Véronique Pasquet, la présence des deux garçons a raffermi les liens entre les paroissiens. « J’ai appris, dit-elle, à connaître des gens, que je ne faisais que croiser.»
Si l’insertion est rapide, il subsiste pourtant beaucoup de questions. La communauté yazidie reste fermée, reposant sur un système de castes strict : Le peuple, les religieux et les chefs. Pas question non plus d’épouser une personne d’une autre religion. Elevés dans cette tradition, Zidane et son frère pourront-ils vraiment s’insérer dans un Etat citoyen laïc ? « Ce ne sera pas facile, répond Jean-Pierre Masclet, mais les mentalités et les cultures évoluent avec le temps. Et s’ils ne se fondent pas, demain, dans la société française, les générations qui les suivent, y parviendront. »
En attendant, Zidane et Zyad apprécient la liberté et la paix. A Vitré, ils ont retrouvé leur cousin, Khalil Haji Mourad et sa famille de cinq enfants. Manque à leur bonheur: la présence de leur mère, de leur six frères et de leur sœur cadette, restés au Kurdistan irakien. L’aînée des filles est réfugiée en Allemagne. Les deux frères supportent mal la séparation… Le lot quotidien d’un grand nombre de Yazidis.
Luc Balbont
(*1) – Kurdophones, les Yazidis sont à la fois un peuple et une religion. Monothéistes, ils font remonter leur calendrier à 6766 ans.
Avant le conflit de l’été 2014, la communauté yazidie comptait de 500.000 à 600.000 personnes vivant en Irak, dans les montagnes de Sinjar, au nord-ouest du pays.
Le nombre de yazidis exécutés par les hommes du groupe Etat islamique, entre août 2014 et la libération de Sinjar, en novembre 2015, reste indéterminé. De 3000 à 10 000, voire plus selon les sources.