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Bethléem : Sœur Sophie, Nobel de la Paix et de la tendresse
En argot journalistique un « marronnier » est un sujet récurrent qui revient chaque année à un moment précis, dans les médias. Dans la presse chrétienne, le reportage sur les chrétiens de Palestine à la veille de Noël constitue un rendez-vous annuel incontournable.
A la mi-décembre 2009, je me trouvais donc à Bethléem afin de m’acquitter de ce grand classique, avec l’impression pesante de reproduire le même sujet, avec les mots des années passées. Quand un ami croisé un matin sur la place de la Nativité me conseilla de rencontrer Sœur Sophie Bouéri, directrice de la crèche vivante de Bethléem, « une femme merveilleuse, qui recueille les nourrissons abandonnés,» ajouta-t-il.
Dès le lendemain, je me présentais au bureau de la religieuse. Une rencontre et un échange intenses sur l’avenir de ces gosses marqués par l’injustice. Impressionné par le charisme de ce petit bout de femme, je décidais aussitôt de passer la fin de mon séjour à la crèche, alors que j’avais initialement prévu de me rendre dans la bande de Gaza, où l’actualité me paraissait plus brûlante.
Durant trois jours, au milieu d’une centaine d’orphelins, tous âgés de moins de 6 ans, j’ai suivi la religieuse et sa quinzaine de collaborateurs dans leur quotidien : réveil, toilette, repas, jeux éducatifs, chants, ateliers divers, soins etc.
Pour les familles, ils sont les "enfants de la honte", nés de liaisons illégitimes de jeunes filles abusées ou violées, Le personnel trouve les petits déposés le plus souvent à la porte de la crèche, abandonnés dans des cartons à même les rues, ou amenés à la crèche par la police palestinienne. Parfois, les futures mères viennent accoucher à la crèche, pour repartir le lendemain sans laisser d’adresse. Les bébés sont alors recueillis et soignés durant toute leur enfance par une équipe dévouée, dirigée par sœur Sophie, Fille de la Charité de Saint Vincent de Paul, Sophie Bouéri, née à Beyrouth, au Liban, en 1936, arrivée à Bethleem en 1985, a transformé cette crèche en une ruche d’amour et de tendresse.
Des instants inoubliables. La plupart des gamins sont musulmans, et, dans l'islam, Marie (Maryam) tient une place prépondérante. Aussi Sœur Sophie leur racontait souvent que cette femme était comme eux. Personne ne voulait l'héberger, et son fils n'avait pu naître que dans une étable, entre un âne et un bœuf. Un jour, à la fin de l'histoire, la petite Zeina, 6 ans, l’avait interpellée: «Ma sœur, si Jésus était pauvre, lui au moins avait la chance d'avoir une maman !" Lorsqu’elle rapporte l’anecdote, la religieuse a la gorge serrée.
J’ai retrouvé récemment dans ma bibliothèque le seul livre sans doute qui retrace l’histoire de la crèche et de sa directrice (*1). Les deux auteurs y dressent un portrait de la religieuse tout en douceur et en bonté. En 2012, Sophie a passé la main. Elle vit aujourd’hui dans une communauté des Filles de la Charité située dans la banlieue de Jérusalem. Mais pour tous ceux qui ont eu le bonheur de la croiser, sa figure reste à jamais gravée dans les mémoires. Grâce à elle, combien « d’enfants « de la honte » se sont sentis aimés ? Tant de gens ont reçu le Prix Nobel de la paix, ou ont été béatifiés pour moins que ça !
Luc Balbont
(*1) « Sterne von Bethlehem », Michael Ragsch et Paul-Georg Knapstein – Patris Verlag GmbH, Vallendar - Publié en allemand, non traduit en français.
Retrouvez Sœur Sophie Bouéri dans le N° 800 du bulletin de l’œuvre d’Orient à paraitre en septembre 2020