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Camil Khabbaz, La solitude de l’exégète

Docteur en histoire et polyglotte, ce chercheur indépendant planche depuis 1987 sur "Les rapports entre l’Apocalypse de Jean, la vie des Esséniens et les manuscrits de la Mer morte". 

Tout a commencé par un chagrin d’adolescent. A 13 ans, Camil Khabbaz est privé du rôle de l’apôtre Pierre, qu’il doit tenir dans la pièce de théâtre montée par le prêtre de sa paroisse, car il ne sait pas que Pierre s’appelait aussi Simon (Seman en arabe). Meurtri mais « revanchard », le garçon se plonge dans la lecture de la Bible et de l’Evangile. Il ne sait pas encore qu’il y consacrera sa vie.

Traducteur et chercheur

Né à Batroun (Liban- nord) en 1951, ce polyglotte, docteur en histoire et fin connaisseur des textes chrétiens, planche depuis 1987, sur l’étude des manuscrits de la Mer morte, la vie des Esséniens et l’Apocalypse de Jean. 

De ses années d’études, il en a tiré un livre (1*) écrit en 2012, démontrant en 166 pages, que le texte de  l’Apocalypse de Jean pourtant reconnu, après bien des disputes et des controverses, comme canonique au Concile de Trente (1545-1563), était un faux. Et que son auteur n’était pas Jean, l’apôtre « que le Christ aimait », mais un Essénien converti, prénommé aussi Jean, mort à la fin de premier siècle de notre ère, sur l’île grecque de Patmos. Selon Camil Khabbaz, l’Apocalypse de Jean qui fait toujours débat entre les exégètes, les biblistes et les historiens aurait été rédigé à partir de deux textes judéo-chrétiens et d’un texte juif, remaniés et réécrits pour former un seul livre vers l’an 95.

Il y a quelques mois, Camille Khabbaz a enfoncé le clou, mettant un point final à une autre étude. Dans « Le secret des Esséniens de Qumrân », en attente de publication, il accrédite la thèse qu’une partie de l’Apocalypse de Jean, s’inspire de la secte juive des Esséniens (*2) et des manuscrits de la Mer morte retrouvés dans les grottes de Qumrân entre 1947 et 1956. « L’animosité, la violence contre Rome développées dans l’Apocalypse ne peuvent pas être attribuées à l’Apôtre Jean, et à l’esprit d’amour du christianisme », affirme le Dr. Khabbaz. 

Et de fait, argumente le chercheur « vers l’an 40 apr. J.-C. les Esséniens ont commencé à préparer secrètement une guerre contre l’Empire romain et tous les transgresseurs de la Loi de Moïse y compris l’Eglise primitive. En réaction à la doctrine de l’Eglise qui prétendait représenter la Nouvelle Alliance. Les Esséniens affirmaient que celle-ci exigeait  le respect total de la Loi de Moïse, considérant Jésus comme une sorte de prophète qu’ils appelaient « le Maître de Justice ».

« Après la destruction de Jérusalem et de son Temple en 70 par Rome, poursuit Camil Khabbaz,  quelques Esséniens qui ont survécu à cette guerre, ont embrassé le christianisme, parmi eux l’auteur inconnu de l’Epître aux Hébreux, et « Jean » l’auteur de l’Apocalype. Notons que l’Epître aux Hébreux contient une doctrine sur Melchisédech qui est originaire de Qumrân. »

 Conséquence de l’obstination de Camil Khabbaz à démontrer la nature apocryphe de l’Apocalypse de Jean : notre homme parle dans un désert, et travaille dans une solitude extrême. C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’il a préféré ouvrir un bureau de traduction de documents à Batroun, sa ville natale, plutôt que de se lancer dans une carrière universitaire, à laquelle son titre de docteur en histoire, obtenu en 2002 à l’Université libanaise, lui donnait droit. « Ma thèse de doctorat avait pour titre «  les Esséniens, sources et histoire » mais mes travaux devenaient trop polémiques. Je sentais que je n’étais pas en adéquation avec la direction de l’université. Avec mon entreprise de traduction, je jeux continuer mes recherches en toute indépendance, dans la plus grande liberté. »

Chrétien maronite fervent, pratiquant fidèle,  Camil Khabbaz entend démontrer que si les quatre Evangiles sont pour lui authentiques, il existe dans le nouveau Testament des textes qui « polluent » le message du Christ. Il a envoyé son livre à des prêtres et des évêques, qui lui ont avoué qu’ils étaient incompétents sur le sujet. « J’ai juste reçu 5 lignes de remerciements du Secrétariat d’Etat du Vatican, mais sans aucun commentaire. » ironise le chercheur. Blessé ? Sans doute, mais prêt plus que jamais à aller jusqu’au bout du combat. 

Luc Balbont

(*1) «L’Apocalypse « apocryphe » de Jean » - publié à compte d’auteur disponible en arabe et en français  chez l’auteur -  <cmkhabbaz@hotmail.com

(*2) Les Esséniens : mouvement du judaïsme  apparu entre le  iie siècle  av. J.C. et le  1er siècle apr. J.C en Palestine